La baisse de libido féminine : Pas toujours un problème pour la femme, mais souvent pour le conjoint !

Dr Christophe Marx
Article paru dans Abstracts Gynéco en Juin 1998
Motif de consultation quotidien chez le sexologue, fréquent chez le gynécologue, la disparition du désir sexuel ( c’est dans ce sens que nous emploierons ici le terme de libido) a chez la femme des explications pathogéniques extrêmement variées.
Les possibilités thérapeutiques ne sont pas toutefois à la hauteur de la pertinence diagnostique du médecin : même s’il est possible de comprendre d’où vient cette “fuite d’énergie”, il ne sera pas facile d’y remédier, en tous cas aussi rapidement que le réclament certaines patientes.
Certains éléments participent à rendre cette consultation particulièremet délicate :
1° Il est fréquent que cette plainte ne soit pas présentée en premier, mais au contraire à l’occasion d’une autre pathologie ( douloureuse notamment ), ou seulement en réponse à la question du médecin. Pudeur ou dévalorisation personnelle ( ” De toutes façons, ce n’est pas important!”).
2° La baisse, voire la disparition du désir sexuel n’est souvent même pas présentée comme un problème, mais simplement signalé comme un état de fait.Il n’est pas sûr que nous soyons ici dans le domaine de la pathologie. Faut-il aller voir un médecin si on aime pas le vin en habitant à Bordeaux ?
3° Le personnage du mari, est souvent là en filigrane : c’est parfois à sa demande que la femme vient consulter. C’est souvent en rapport avec sa réaction que la patiente va se déterminer. Mais il est rarement là physiquement, même quand le médecin a suggéré l’intérêt de sa présence.
4° Les conséquences de cette anaphrodisie sont inquiétantes mais souvent de façon indirecte :
“- Suis-je normale de ne plus avoir envie ?
– Est-ce que cela va revenir ?
– Pour l’instant mon mari est compréhensif, mais si cela persiste, va-t-il aller “voir ailleurs” ?
C’est finalement toute l’image que la femme se fait de sa féminité et de son couple qui est en question.
5° Il existe peu de solutions spontanément satisfaisantes pour compenser une situation qui n’est pas vraiment une maladie : refuser les rapports sexuels que le conjoint demande, simuler désir ou plaisir, ruser ( décaler l’heure d’aller se coucher, beaucoup plus tôt ou beaucoup plus tard que son mari…), ou subir passivement les assauts d’un homme dont on ne partage plus le feu sexuel…
6° Ce symptôme est au carrefour de nombreux éléments relationnels, émotionnels voire psychiatriques, et peut être considéré comme la partie émergée de l’iceberg.
C’est une conséquence de la défaillance de l’élan vital ( comme on dit en comptabilité, le “poste” supprimé en premier en économie de carence ) mais c’est aussi le point de départ d’une remise en question personnelle et relationnelle ( Est-ce que je l’aime encore ? Suis-je encore une femme ?…)
7° Il existe des tableaux cliniques extrêment différents, depuis la femme parfaitement satisfaite de sa vie ( en général grâce à sa maternité ) et dont la libido est le dernier de ses soucis, jusqu’à la femme dépressive qui a perdu le goût de tous les plaisirs de la vie.
L’espoir thérapeutique résidera dans la finesse du diagnostic étiologique, afin de différencier les situations simplement passagèrement bloquées de celles qui sont en rapport avec un trouble de la structure même du couple, ou plus gravement de la personnalité de la patiente.
On peut en effet comparer le désir à un “colorant” de l’identité au sens où le colorant fait exister le tissu sur la coupe histologique : la personne qui ne serait pas “colorée “par le désir ne pourrait pas avoir de vie réelle.
Les troubles du désir sont ceux de la fonction désirante, et ne se résument pas à l’incapacité à satisfaire ce désir.
La difficulté réside pour le médecin à lire entre les lignes la demande réelle ( qui, rappelons-le n’existe pas systématiquement ) et à ne pas se précipiter à vouloir traiter un symptôme, qui pour patent qu’il soit, peut faire partie d’un tableau plus global dans lequel sa patiente trouve néamoins un équilibre minimum.
Les causes classiques
Certains éléments peuvent émousser la disponibilité sexuelle de la femme, voire faire disparaitre tout désir sexuel :
° Les intoxications exogènes : alcool, toxicomanie…
Citons à ce propos l’extasy, improprement classée dans la aphrodisiaques. Cette drogue se borne à stimuler le besoin de contact humain et celui de recevoir des câlins, d’être pris dans les bras…
Ce qui, certes, peut être le préambule à un acte sexuel, mais qui provoque plutôt une crise régressive infantile !
° Les causes médicamenteuses : sont principalement suspectés les psychotrophes et hypotenseurs, mais aussi le sulpiride et les oestro-progetatifs.Pour ces derniers, le mécanisme est ambigu : biologique ou psychologique, en rapport avec la “stérilité”, fût-elle passagère et réversible…
° L’épuisement, physique ou nerveux, trouvant son origine dans le contexte familial et/ou professionnel ( la fameuse double ou triple journée de la femme …)
° L’âge et les conséquences de la sénescence, composante très variable puisque certaines femmes se décrivent elle-mêmes comme “peu portées la dessus” depuis toujours, alors que des femmes abordant leurs quatre-vingts ans assument volontiers un désir sexuel, qui, bien qu’épisodique, souffre surtout de la défaillance ou de l’absence du partenaire.
° La souffrance physique, ou la peur de la souffrance : c’est la dyspareunie
* orificielle : dûe à une vaginite le plus souvent..
. *profonde : évoquant l’ organicité : masse annexielle, rétroversion fixée, syndrome de Masters et Allen etc …
Ne pas oublier que caecum et sigmoïde sont des organes anatomiquement pelvien, dont la douleur spastique peut être réveillée par le rapport.
° Les causes psychologiques :

Une éducation “rigide” et culpabilisante vis-à -vis de la sexualité .Ailleurs, c’est la sexualité clitoridienne qui est dévalorisée, qualifiée “d’adolescente”, avec surestimation de l’orgasme vaginal.
Les femmes sont alors surprises d’apprendre que le simple mouvement de va-et-vient du piston pénien ( une expression de sexologue à employer avec prudence ) n’est susceptible de provoquer un orgasme que dans un contexte amoureux et affectif très intense. Cette anorgasmie, ou pré-orgasmie peut être une cause de la baisse de libido par un mécanisme de découragement et d’absence de motivation : le bôf-sexe en quelque sorte…
Citons dans ce chapitre l’absence de tout érotisme conjugal, souvent associé au manque d’attention de la part du conjoint.
L’accumulation de griefs conjugaux aboutissant à une tension gravative, avec ses deux formes cliniques : l’agressivité permanente ou l’évitement de tout conflit.
L’anxiété et la dépression, les deux principales “prisons” du désir, surtout si la femme se persuade qu’il faut absolument qu’elle ait envie La crainte de la contre-performance dans le cas où la femme instaure dans sa sexualité un aspect normatif : réussir à ressentir un orgasme, ressentir un orgasme exclusivement vaginal, satisfaire son partenaire etc.
Chaque “échec” a une vertu d’auto-renforcement qui rend l’expérience suivante encore plus inhibitrice.Cette peur de ne pas être à la hauteur est souvent liée à une suradaptation excessive au rôle social de la femme.
La crainte de transgresser un interdit culturel ou religieux, à propos de la virginité ou du plaisir.
La crainte des conséquences du rapport sexuel : grossesse non désirée ou MST, culpabilité en cas de relation extra-conjugale.
Les causes plus difficilement identifiables
1 – La femme qui n’a pas de compagnon stable et qui a donc des rapports sexuels dépendant de rencontres épisodiques présente souvent une adaptation de sa libido .
Celle-ci est, d’une certaine manière, subordonnée à l’aspect affectif ou amoureux de la relation : “S’il n’entend le coeur qui bat, le corps non plus ne bronche pas ” disait Georges Brassens, grand spécialisite de sexualité féminine.
Les femmes sont souvent étonnées, voire décontenancées ou blessées de constater chez les hommes la permanence d’un besoin sexuel non spécifique qui semble même préalable à la rencontre amoureuse. Au sein du couple, la disparition de la libido peut équivaloir à une représaille de type passif-agressif, comme si, inconsciemment la femme acceptait de se priver de son élan sexuel afin de “punir” son compagnon en le frustrant.
L’aspect inconscient de ce processus (qui, même élucidé est difficile à assumer !) rend le diagnostic particulièrement délicat à envisager explicitement avec la patiente.
2 – La baisse de libido peut également être en rapport avec une peur de perdre le contrôle : contrôle de soi, de sa vie …. Comme si le désir et le laisser-aller qu’il risque d’entraîner venait menacer une vie trop bien rangée : qui peut affirmer en effet que le feu mis sous la casserole ne va pas tout faire déborder ?
La femme est souvent prise entre deux écueils : assumer son désir, son plaisir et passer pour une femme légère, ou bien choisir de passer pour une femme respectable et digne… mais s’ennuyer à mourir.
3 – Du point de vue psychopathologique, on peut noter le rapport avec les personnalités schizoïdes, coupées des leurs sensations internes mais aussi à distance des stimulations relationnelles venues de l’extérieur.
Paradoxalement, citons le côté fugace du désir sexuel de l’hystérique : il est en effet, en totale contradiction avec les messages verbaux et non-verbaux qu’elle envoie aux autres ( séduction et érotisation ) puisque c’est en fait à son père que ces messages s’adressent, et la réalité des réactions masculines ne correspond évidemment jamais à ce qu’elle recherche.

4 – Du point de vue systémique, la notion de double contrainte permet d’expliciter cette situation lorsque le partenaire transmet un message du type ” Sois donc spontanée” avec sa variante ” Je désire que tu me désires ” : la femme est incapable alors de reconnaitre si elle désire pour elle-même, ou pour s’adapter à l’attente de son partenaire.
Supprimer tout désir est une façon radicale mais efficace de sortir de ce paradoxe.
5 – Citons enfin les baisses de libido :
*en rapport avec l’impression de “trahir” sa mère, qui, elle, n’a pa pu s’épanouir sexuellement.
* corrélatives d’une peur intense de s’engager ( provoquant un sabotage inconscient de la relation avec des partenaires libres ou prêts à faire un enfant…)
* liées à une expérience traumatisante : agression, inceste, humiliation..
* liées à la nécessité de tester en permanence l’attachement du partenaire :” sans sexualité, aura-t-il toujours envie de rester avec moi ?” ( jeu de l’épouvantail comme le disait Alain Crespelle avec pertinence )
*nécessaire pour confirmer la croyance que “de toutes façons un couple ne peut pas tenir longtemps” ( sous-entendu, sinon mes parents n’auraient pas divorcé, par exemple…)
Finalement, le désir sexuel est le carrrefour au sein duquel se nouent de nombreux enjeux :
La femme trouvera-t-elle sa place à travers la nécessité d’être à la fois partenaire sexuelle, mère, compagne ( infirmière, garde-malade, gestionnaire etc….) ?
Saura-t-elle faire la part des projections inconscientes de son mari sur elle, sur elle de son mari?
Pourra-t-elle se dégager de sa propre enfance, et, en cessant de rechercher un père, aura-t-elle la possibilité de quitter la zone marécageuse de l’inceste et de ses interdits ?
Faudra-t-il, pour comprendre, rechercher dans la famille d’origine ( on parle désormais d’approche transgénérationnelle ) un acte sexuel aux conséquences dommageables ?
C’est d’autant plus difficile que ce viol, cet inceste, cette “fille-mère” »…tous ces événements se sont passés il y a parfois plusieurs générations, et que le secret qui les a entourés en a alourdi les conséquences inconscientes au lieu de les faire basculer dans l’oubli !
Conclusion
L’hypertrophie du diagnostic étiologique en matière de baisse de libido féminine confirme l’impression première : il sera difficile pour le médecin d’aider sa patiente dans un tel domaine qui n’est finalement pas une maladie, et dont nombre de femmes s’accomodent.
C’est en effet le conjoint qui est le plus souvent porteur de la frustration, donc de la plainte. Le gynécologue peut au moins entendre la parole de cette femme, de ce couple à ce propos : ses propos dédramatisants et de bon sens pourront déjà répondre à nombre d’inquiétudes.
Il sera parfois nécessaire de donner des informations objective sur la sexualité clitoridienne, la nécessité des préliminaires mais aussi sur le contexte global de la relation : retrouver le goût de faire ensemble des choses nouvelles, de réinvestir charme, surprise et séduction…
Il sera également possible d’aider cette femme à faire la différence entre le fait d’identifier, exprimer et satisfaire son désir ( a-t-elle droit aux fantasmes ?) On pourra conseiller des techniques comme la relaxation, la visualisation ou la sophrologie. Bien souvent il faut le dire, une aide d’ordre psychothérapeutique sera nécessaire, individuelle ou de couple : approche psychanalytique, analyse transactionnelle, systémique ou thérapie comportementale.
Mais la recommandation d’avoir recours à une thérapie sera émoussée si le gynécologue lui-même n’est pas persuadé de son pertinence et de son efficacité !

Bibliographie
BERNE Eric
Des jeux et des hommes
Stock
VASSE Denis :
Le temps du désir
Seuil
– ALBERONI Francesco
L’érotisme
Ramsay Pocket 1987
DALENS P.
“Troubles sexuels et conflits conjugaux”
Cahiers de sexologie clinique- N° 86 vol 14 p. 31
-DOLTO Françoise
Sexualité féminine
GUILHOT J & MA
“Crises du couple et couple en crise
Cahiers de sexologie clinique- N° 87 vol 14 p. 54
MARX Christophe
“Besoin, désir, envie… et frustration”
Actualités en Analyse Transactionnelle 27,146-149
MARX Christophe
Fréquence des difficultés sexuelles abordées en consultation courante de gynécologie
Contraception, Fertilité & Sexualité – Juin 1981
VAN DEN BOSSCHE Marie Claude
” Passer du besoin au désir … Réflexion sur une pratique”
Gynécologie et Psychosomatique 1995 N° 13
-WATZLAWICK Paul
Changement,paradoxe et psychothérapie .
Point Seuil

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