Réflexions sur la question du diagnostic en psychiatrie

Le classement des maladies psychiatriques est très difficile.
Car les mots ne veulent pas dire la même chose, suivant les langues et les traductions, suivant les cultures, et les cadres de référence des praticiens.
L’analogie entre la maladie mentale et la maladie physique ne ” marche ” que momentanément : force est de constater que l’esprit ( la personnalité ? l’âme ? … ; ) ne se laisse pas aussi facilement décrire que le corps, et surtout que les évolutions, et enchaînements de causes et d’effets sont beaucoup moins systématiques.
Le concept même de trouble mental s’oppose sémantiquement à la normalité mentale.
Or, tout le monde s’accorde à récuser ce terme de normalité.
Il est même classique de l’affubler systématiquement de guillemets graphiques ou de deux oreilles de lapins manuels si d’aventure on est amené dire ce ” gros mot “.
Donc, si personne n’est ” normal “, personne n’a de ” trouble “…
Et pourtant, ils souffrent ! Comment s’y repérer dans cet entrelacs médico-anthropologiquo-philosophique !

La classification des troubles ( maladies ? symptômes ? syndromes ? …) mentaux est finalement fonction de présupposés qui orientent en sous-main la démarche scientifique de classement.
Ces présupposés sont principalement :

– le présupposé étiologique : les maladies seront classées en fonction de leur pathogénie ( substrat organique, névrose, psychose… )
– le présupposé thérapeutique : les maladies seront classées en fonction de leur réceptivité aux traitements : les maladies incurables à ce jour seront moins analysées que celles qui répondent bien à la démarche thérapeutique du praticien. Les psychothérapeutes transactionnels par exemple, évoqueront d’autant plus volontiers le risque suicidaire qu’ils utilisent une méthode efficace de prévention ( fermeture des issues dramatiques de scénario )
Pour sortir de ces ornières, qui n’aboutissent qu’à des querelles de chapelle,, la tendance internationale récente ( vingt ans environ ) se concentre sur l’ aspect uniquement descriptif : le DSM = diagnostique et statistique des troubles mentaux.
Cela a l’avantage de mettre tout le monde d’accord, et renvoie chacun à son interprétation pathogénique ou son choix thérapeutique.
La rupture avec le fonctionnement médical classique est désormais consommée : en effet, la séquence sémiologie > diagnostic> traitement vole ici en éclat : le traitement ne sera plus fondé par l’interprétation diagnostique.
La sémiologie ne sert ici qu’à étoffer le diagnostic, et les signes ne s’interpréteront pas globalement mais se contenteront de se juxtaposer, comme un patchwork.
L’avantage consistera à ne pas étiqueter un malade, mais à décrire un fonctionnement à l’instant ” T ” dans un renoncement à tout enfermement pronostique. L’inconvénient de cette approche principalement destinée à permettre une communication entre praticiens, et à favoriser la recherche réside dans le fait qu’un praticien qui ne souhaite pas communiquer ni faire de recherche n’utilisera pas cette grille.
Il se retrouvera seul avec son patient, et risque de reprendre tranquillement le sillon balisé de ses convictions en matière de pathogénie et de plan thérapeutique.
Pour aller dans ce sens, il existe un fort courant ( porté entre autre par la psychanalyse ) qui encourage l’idée que chaque cas est particulier, que chaque traitement est unique, que chaque relation thérapeutique est à inventer au coup par coup ;
La standardisation des êtres humains est donc évitée, mais c’est en fini de tout espoir scientifique de standardisation des protocoles thérapeutiques.
Enfin l’évaluation du traitement est possible en médecine organique : y a-t-il guérison, restitutio ad integrum, consolidation, diminution du risque, amélioration des constantes, diminution des contraintes, disparition de la douleur ?
L’évaluation du traitement psychiatrique sera minimale : va-t-elle se baser sur le témoignage du patient ? Mais s’il dit qu’il se sent mieux, ou moins bien… quel crédit apporter à ses paroles ?
Va-t-elle se baser sur une ” adaptation ” sociale ? La soumission à une vie bien rangée, qui ne fait pas de vagues… est-ce vraiment un bon critère de guérison ?
On se surprend à envisager que l’approche psychiatrique puisse essentiellement servir à réguler le fonctionnement social : aider à estimer la responsabilité d’un criminel, l’aptitude à diverses fonctions, ou la dangerosité potentielle….

La thérapeutique psychiatrique se décline suivant deux approches :

La chimiothérapie, destinée
à calmer ( tranquillisants, neuroleptiques )
à stimuler( antidépresseur )
à réguler ( lithium )
a plus une visée symptomatique, et socialement régulatrice.
La psychothérapie, n’a pas encore démontré scientifiquement sa pertinence, ses protocoles ne sont pas élaborés, interdisant toute reproductibilité qui serait un gage de son sérieux scientifique. Mais les psychothérapeutes veulent-ils être des scientifiques ?
Ils semblent que bon nombre d’entre eux s’accommodent fort bien de ce flou artistique qui leur évite de rendre des comptes à la communauté médicale. Les rares enquêtes pratiquées en ce domaine doivent donc être encouragées et renouvelées !
Quant à l’hospitalisation, destinée en médecine organique à intensifier les investigations diagnostiques et le traitement, elle ne représente en psychiatrie que le constat d’échec d’une société individualiste, ou ne sert qu’à éviter les violences prévisibles.

Au total , les deux questions qui se posent sont :

A- Qu’est-ce qu’un trouble mental ?

Cela dépend des régions ( en Afrique, les hallucinations ne sont pas forcément pathologiques !) Cf. Tobie Nathan et son concept d’ethnopsychiatrie.
Cela dépend des périodes : il y a vingt ans, l’homosexualité était classée dans les perversions.
Cela dépend du cadre de référence : Faut-il rester avec un conjoint pervers et manipulateur quitte à s’enfoncer dans une souffrance profonde ?
Existe-t-il des raisons valables pour se suicider ?

B- Qui doit aider les personnes présentant des troubles mentaux ?

Les médecins ? Seulement pour la chimiothérapie ? Les psychothérapeutes doivent-ils tous être médecins ?
Les psychologues ? Mais leurs études ne les ont pas formé à la psychothérapie en tant que telle, et encore moins à prescrire.
Les scientifiques ?
Les ministres religieux ?
Les parents ?
Les acteurs sociaux ?
Eux-mêmes ?
Le temps qu’il fait ?
Le temps qui passe ?
Personne ?
Dieu ?

Dr Christophe Marx

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