Un visage…

« Mieux vaut apprendre le métier de barbier sur le visage des autres »

Proverbe Yiddish, ou Napolitain, rapporté par Erri de Luca.

C’est Emmanuel Levinas,  notamment dans « Ethique et Infini » qui a parlé du visage avec le plus de radicalité.

Un visage, ce n’est pas simplement deux yeux, un nez, une bouche, la tête à toto.

Le visage, c’est l’autre : notre propre visage, on ne l’a jamais vu. Ou alors à l’envers, dans un miroir, ou en virtuel sur une photo ou une vidéo.

On ne s’est jamais vu, en vrai, comme les autres nous voient.

Faire l’expérience d’autrui, c’est rencontrer son visage.

Le visage, au sens large, si large que c’est toute l’humanité qui s’y retrouve et s’y rassemble.

Le visage, c’est une vulnérabilité  car,  qui est invulnérable ? Le robot derrière son armure ?

Et encore…

Le visage est un dénuement, presque une misère autant qu’une gloire ou une lumière.

Le visage nous supplie de le regarder, de le considérer : mais cette supplication est en fait une exigence de réponse, de soutien et d’aide.

Pour Lévinas, ce  visage est dénudé, offert, exposé, sans défense.

Paré, décoré, à la rigueur. Mais dans une signification sans contexte : le visage est sens à lui tout seul.

Certes, le visage parle, mais ce faisant, il exige qu’on lui réponde, et  qu’on réponde de lui. L’apparition du visage est un commandement moral, un ordre : il désigne une pauvreté, pour lequel je peux tout et à qui je dois tout.

Pourtant la  psychologie moderne nous enjoint de ne pas nous  sentir responsable de l’autre, sous peine de symbiose malsaine voire de fusion mortifère.

Lévinas,  lui, nous informe que nous sommes responsables de l’autre, mais dans le cadre d’une responsabilité éthique, qui s’impose à nous et qui seule peut nous  rendre humains.

La vulnérabilité de l’être et du visage fait que nous ne pouvons être humains sans être en relation, donc comptable de  l’autre.

Nous voilà bien ! En tension que nous sommes entre psychologie et spiritualité.

Mais la tension n’est pas toujours négative : si les cordes d’une guitare ne sont pas en tension, adieu la musique !

Alors vivons en vis-à-vis : à visage découvert.

Et montrons –nous vulnérables.

Il en restera toujours quelque chose : notre humanité, tout simplement.

Christophe Marx

Octobre 2015

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