La psychiatrie bricole ?

Informations sélectionnées par le Dr Christophe Marx à partir de la littérature médicale récente

Les premiers Etats généraux de la psychiatrie se sont tenus à Montpellier du jeudi 5 juin au samedi 7 juin. Réunissant entre 1 500 et 2 000 participants (médecins, infirmiers, travailleurs sociaux…), cette manifestation a pour but d’alerter les pouvoirs publics et l’opinion sur la crise grave que traverse la spécialité. Subissant une baisse drastique de moyens depuis vingt ans (de moins en moins de lits, listes d’attente qui s’allongent, chute du nombre de praticiens), la discipline doit en effet faire face à une explosion de la demande de soins et traiter notamment de nouvelles formes d’anxiété (troubles du comportement, de l’alimentation…). Le président du comité scientifique des Etats généraux s’inquiète d’une disparition de la relation thérapeutique au profit d’une “médicalisation à outrance de la souffrance psychique”.

L’événement, exceptionnel, se veut un jalon dans l’histoire de la psychiatrie. Pour la première fois depuis l’invention de cette discipline, au XIXe siècle, la Fédération française de psychiatrie et des psychiatres, des internes, des psychologues, des infirmiers psychiatriques et des travailleurs sociaux intervenant en santé mentale se sont donc réunis du jeudi 5 au samedi 7 juin, à Montpellier (Hérault) dans le cadre des Etats généraux de la psychiatrie.

Par cette manifestation, qui devrait rassembler 1 500 à 2 000 participants, la profession cherche à alerter les pouvoirs publics et l’opinion sur la crise grave que traverse la spécialité.

Alors qu’elle subit une baisse drastique de moyens depuis vingt ans, la psychiatrie doit en effet faire face à une explosion de la demande de soins ; cette mutation suscite de profondes interrogations chez les psychiatres, sommés de prendre en charge une part croissante de la souffrance sociale.

La psychiatrie publique a subi de profondes évolutions depuis la Libération. Aux anciens asiles, lieux d’enfermement décriés pour leur inhumanité, elle a substitué, à partir des années 1960, une politique de soins plus ouverte sur la société, la “sectorisation”. Travaillant dans des bassins de population d’environ 70 000 habitants (les “secteurs” ), les psychiatres ont multiplié les petites structures de soins ambulatoires, créant une offre de proximité plus adaptée aux besoins des patients, allant de la prévention à la postcure en passant par l’hospitalisation.

L’ouverture des secteurs s’est faite à des vitesses très différentes, en fonction du dynamisme des médecins et des compromis avec les pouvoirs publics. Le maillage territorial est donc inégal : si la moyenne nationale en hospitalisation complète est de 155 lits pour 100 000 habitants, cinq départements disposent de moins de 100 lits tandis que onze ont une capacité supérieure à 250 lits pour 100 000 habitants.

Surtout, cette ouverture sur l’extérieur a entraîné une chute du nombre de lits d’hospitalisation. S’appuyant sur la politique de sectorisation, les pouvoirs publics ont en effet encouragé la réduction progressive du nombre de lits : 125 000 places d’hospitalisation ont été supprimées entre 1970 et 2000, avec une accélération dans les années 1990. “L’enthousiasme des psychiatres pour la création de soins en ambulatoire a été un peu trop loin, analyse le docteur Jean-Jacques Laboutière, secrétaire général de la Fédération française de psychiatrie. Du coup, la tutelle a accompagné et utilisé ce mouvement pour faire des économies.”

LISTES D’ATTENTE

En 2001, la France ne disposait plus que de 64 718 lits, dont 80 % dans le secteur public. Un hôpital comme celui de Maison Blanche, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), qui assure la prise en charge de cinq arrondissements de l’Est parisien, est passé de 2 000 lits dans les années 1980 à 550 aujourd’hui. “Nous n’accueillons plus que des patients en phase très aiguë et, pour les hospitaliser, il nous faut sortir d’autres malades”, déplore ainsi Serge Klopp, cadre infirmier.

Cette politique est jugée d’autant plus excessive que le nombre d’hospitalisations a recommencé à progresser depuis 1997. “On en est à faire la chasse aux lits pour pouvoir hospitaliser les patients. Ces malades sont sortis dès qu’ils présentent un semblant d’amélioration, explique Alain Létuvié, du Syndicat national des psychologues. Avant, on dénonçait les internements abusifs, dorénavant on peut vraiment parler d’externements abusifs.”

Les listes d’attente s’allongent dans le secteur public, qui renvoie les patients chez les psychiatres libéraux, bientôt débordés. “Il y a vingt ans, je n’aurais jamais imaginé traiter des bouffées délirantes sans hospitalisation, appuie le docteur Laboutière, qui exerce en libéral. On se fait un peu peur en soignant ces patients en cabinet : entre deux consultations, tout peut arriver.” Traditionnellement soignés dans les hôpitaux, des malades mentaux psychotiques échappent ainsi de plus en plus au système de soins. Et, depuis quelques années, ils viennent grossir la file des sans-abri et des détenus.

Aujourd’hui, la psychiatrie est donc placée dans une situation paradoxale : alors que ses moyens ne cessent de diminuer (le nombre de psychiatres devrait baisser de 12 500 aujourd’hui à 7 500 en 2020), son champ d’intervention s’étend. Aux pathologies qu’elle prenait en charge depuis le XIXe siècle (psychose, démence ou alcoolisme), puis à celles apparues dans les années 1960 (névrose et dépression) se sont ajoutées, depuis les années 1990, de nouvelles formes d’anxiété : troubles de l’adaptation, du comportement, de l’alimentation ou de la personnalité.

“On voit arriver chômeurs, RMiste, stagiaires en tout genre, population dont la principale caractéristique est d’être sous le signe du manque, écrivaient déjà en 1997 la sociologue Anne Golse et le psychiatre Philippe Plichart dans Psychologie sociale et ethnopsychiatrie. Enfin, nouvelle catégorie en extension, les demandes qu’on peut qualifier de subjectives, demandes personnelles de mieux-être face à une angoisse diffuse, un sentiment de vide ou d’échec personnel, de perte de l’élan vital ou d’une capacité à entretenir des liens sociaux.”

“L’ÈRE DU BRICOLAGE”

Conjuguée à la pénurie de moyens, l’arrivée de ces nouveaux patients transforme les pratiques des soignants. Les participants aux Etats généraux s’inquiètent ainsi de la tendance à la rationalisation des soins, qui touche tous les secteurs de la santé. “On n’a plus le temps de rencontrer le sujet et de construire quelque chose en fonction de son histoire, s’inquiète M. Létuvié. Nous sommes dans l’ère du zapping et du bricolage permanent. Il y a une telle pression de la demande qu’on est de plus en plus dans la gestion de population.”

Le rassemblement de Montpellier est aussi l’occasion d’une défense de la relation thérapeutique, dans un contexte où les conceptions anglo-saxonnes de la psychiatrie, qui privilégient les traitements chimiques, gagnent du terrain. “Hâte-toi lentement de comprendre, voilà comment on pourrait résumer notre pratique, explique le docteur Alain Besse, président du Syndicat national des psychiatres privés. Nous ne sommes pas contre les médicaments, mais nous privilégions les thérapies de la parole. En aidant quelqu’un à comprendre son symptôme et en le réintégrant dans son histoire, on l’aide bien mieux qu’avec tous les psychotropes.”

Extrait du journal “Le Monde” Juin 03

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