La méconnaissance est un processus mental interne qui consiste à distordre la perception de la réalité afin de maintenir notre cadre de référence.
La méconnaissance permet d’entretenir la symbiose,en étant à l’origine des stratagèmes psychologiques :
c’est ainsi que les comportements passifs qui en résultent permettent de faire porter aux autres la responsabilité de nos propres pensées, émotions ou comportements.
Voilà donc, en quelques mots, la théorie des Schiff, dont la pertinence fut largement confirmée par plusieurs générations de thérapeutes.
Partant de cette approche, je me suis intéressé à ce qui pourrait s’appeler une “fonction de la méconnaissance” – sorte d’intermédiaire entre nous et le monde : Groddeck, il y a longtemps, Jacqui Schiff elle-même, avaient signalé déjà qu’il était impossible de ne faire jamais aucune méconnaissance.
Alors, si nous sommes “condamnés à méconnaître”, quels sont les fonctionnements intimes de ce processus ?
Eric Berne, au cours d’une conférence qu’il fit à Vienne -berceau de l’unde ses illustres maîtres – aurait raconté l’entretien qu’il eut avec un patient qui souffrait de maux de tête, médicalement inexplicables.
Le contrat de ce client concerna ses céphalées. Lorsque le client annonça à Eric Berne que son contrat était réalisé, ce dernier lui demanda :
“Très bien ! Et maintenant, avez-vous envie de parler de vos hallucinations ?”
Berne s’en était tenu au contrat alors même que la pathologie évidemment psychiatrique du patient aurait incité plus d’un thérapeute à “ratisser large” et “creuser profond” dans la structure mentale de ce client halluciné.
Sans doute Berne jugea-t-il que, si son client “reconnaissait” (disparition d’une méconnaissance) le rapport entre ses céphalées et ses hallucinations, c’était qu’il était prêt à le faire.
Il est probable que confronter une méconnaissance est au mieux inutile (la personne n’entendra pas), au pire, intrusif (exacerbation des défenses).
Peut-être vaut-il mieux garder l’énergie pour confronter la passivité, les redéfinitions, les stratagèmes.
Exemple – Client : “Ma femme n’est pas prête à prendre une telle autonomie !”
Je me suis rendu compte que lorsque je disais à un tel client :
“J’entends chez toi une méconnaissance. Veux-tu cesser de méconnaître ainsi la réalité de la situation !”
mon intervention était inutile ou intrusive.
Bien que subtile, la différence est importante avec des interventions plus pertinentes du style :
– “Penser que ta femme n’est pas autonome te permet de faire, ressentir, penser quoi ; t’évite quoi ?”
– “Qu’est-ce que ton Adulte pense de tout ça ?”
– “Tu as raison, un pauvre petit “bout de chou” comme elle ! (confrontation facétieuse).
MOINS VOIR POUR MIEUX VOIR
La physiologie de l’oeil nous apprend que les cellules réceptives de la rétine (cônes et bâtonnets) n’ont pas un fonctionnement permanent.
Ils sont activés de façon homogène sauf lorsque la personne fixe un objet : pour que sa vision soit nette, les cellules réceptives alentour (donc celles qui ne reproduisent pas l’objet fixé) diminuent leur réceptivité.
Tout se passe comme si elles cessaient de transmettre les messages sensoriels qu’elles reçoivent pour laisser le champs libre à l’objet ou à l’image que la personne fixe.
Si elle ne le faisait pas, le nerf optique serait “encombré” d’informations. La précision de la vue s’en ressentirait :
il semble que l’oeil ait choisi de moins voir pour mieux voir.
Je fais l’hypothèse qu’un mécanisme analogue existe dans le champs de la conscience : certaines méconnaissances agissant comme une diminution de la “disponibilité” à une réalité globale, impossible à appréhender dans sa complexité, la conscience peut alors “fixer” un point particulier.
Ce point, fondamental quant à la survie de la personne, est bien l’élément important – et non la méconnaissance “périphérique” – qui ne fait que le mettre en lumière par effet de contraste.
Le principe même de l’accès sensoriel au monde repose donc sur des méconnaissances.
Il en est de même pour l’accès affectif (qui, en effet, peut intégrer et surtout tenir compte de la totalité de l’intervention humaine, verbale, et surtout non-verbale !).
La mémoire elle-même ne peut fonctionner que grace à des méconnaissances.
La mémoire, c’est ce qui reste quand on a(presque) tout méconnu : il s’agit toujours du même principe de défrichage de la conscience autour de l’élément signifiant pour le mettre en évidence par effet de contraste.
En terme d’états du moi : L’absence de méconnaissance aboutirait à une situation limite dans laquelle les états du moi fonctionneraient “à plein régime” :
– le Parent : se sentant responsable d’une multitude de situations, et concerné par toutes les valeurs,
– l’Adulte : littéralement saturé d’informations,
– l’Enfant : en contact avec l’ensemble de ses besoins, de ses désirs, de ses envies… et de ses frustrations.
Pour contrôler un processus, il est nécessaire d’en connaître chacun des éléments ; il existe en effet une relation inverse entre contrôle et taux de connaissance.
Ce taux de méconnaissance ouvre la porte à une prime au hasard, à un certain abandon à la vie : quand on connaît la difficulté à laisser le contrôle, à lâcher prise”, il apparaît qu’une certaine quantité de méconnaissance peut être bienvenue.
Point trop n’en faut, évidemment, sinon l’accès au réel se referme au fur et à mesure.
Ce seuil tolérable de méconnaissances est sans doute variable pour chacun et pour une même personne – variable suivant son âge, son stade de développement, la situation et son contexte.
La liberté de méconnaître est un droit pour tout le monde.
En conséquence, il est important de faire le diagnostic des méconnaissances lorsqu’elles sont en rapport avec un processus bloquant ou destructeur.
Les comportements passifs les désignent avec une sûreté quasi mécanique.
Autrement dit : si quelqu’un est passif, il méconnaît à coup sûr. A l’inverse : s’il méconnaît, il n’est pas forcément passif.
Quelles sont les conséquences d’une telle réflexion ?
Il semble que des problèmes peuvent survenir lorsque des gens se rencontrent, échangent alors qu’ils ont des “taux de méconnaissances” différents, leur vision du monde ne se recouvre pas l’une l’autre.
L’un semble en “saisir” plus que l’autre, et bien souvent, le plus savant, le plus “sachant” des deux n’est pas celui qu’on pense….
Une telle difficulté peut survenir par exemple lorsqu’un conjoint est en thérapie, l’autre non, ou lorsqu’une personne s’est avancée sur un chemin particulier de sa connaissance.
Le décalage avec l’autre, celui dont justement on recherche la proximité, débouche parfois sur un fort sentiment de solitude.
La solitude serait-elle le prix à payer pour le développement de sa conscience ?
Sans doute cette solitude n’intervient-elle que comme un rideau de fumée qui ne fait peur qu’à ceux restés en deçà .
La découverte que font ceux qui le traversent dépasse le thème de cet article.
On méconnaît ce qui menace la symbiose : aussi, une lumière crue (le projecteur des policiers qui veulent faire avouer un suspect ?… ) sur les méconnaissances est une sorte de violence qui risque de menacer tout le système de défenses de la personne.
Elle peut aboutir à une perte du sens de la vie – sorte de crise spirituelle – dont la sortie est d’autant plus périlleuse que l’on n’est pas accompagné de façon adéquate.
EN CONCLUSION
La méconnaissance pourrait donc parfois être à la base d’un mécanisme de survie.
Une comparaison peut illustrer cette hypothèse.
Les poissons des grandes profondeurs océaniques vivent dans une quasi-obscurité ; seule leur parvient une pâle lueur venue de la surface.
Les poissons qui passent au-dessus d’eux sont ainsi repérables pour ces carnivores affamés grâce à leur silhouette “en contre-jour”.
Une catégorie de poissons a réussi à survivre malgré cette menace : la peau de leur ventre émet une lumière qui, en se mêlant à la lueur venue d’en-haut, supprime l’effet de contre-jour : leur vie tient à ce subterfuge.
Cette observation bien finaliste montre, à mon avis, que la méconnaissance distordant la réalité peut parfois préserver la vie.
Que se passerait-il-s’ils montaient vers la lumière ? …
Dr Christophe Marx
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