Plantons le décor : Le palais est ouvert à tous, aucune porte n’est fermée à clé.
C’est grisant d’évoluer dans ce lieu si accueillant. Même aux toilettes, pas de verrou : une simple lumière annonce que c’est occupé.
Derrière le bâtiment, le parc, lui aussi en accès et libre. Tout est transparent.
Ah, petite exception : un mur circonscrit un espace clos dont la porte est exceptionnellement verrouillée.
On lit sur le linteau : « Jardin secret ».
On est soulagé car c’est encore le jardin qui se prolonge : pas une usine déversant dans l’atmosphère de pernicieuses vapeurs toxiques, pas une décharge à ciel ouvert, pas un atelier faisant travailler au noir des clandestins épuisés… Un jardin !
Un jardin dont on accepte le caractère secret, bénigne exception dans cet univers si transparent, ouvert, accueillant…
Rien de bien méchant, passons notre chemin, en souriant avec attendrissement.
On a en tête les billets écrits d’une main encore malhabile par des enfants en quête d’individuation, papiers aux bords déchirés, collés sur la porte de leur chambre pour affirmer une personnalité naissante :
« Intairdi aus étrengés et surtou aus parent ».
Voilà la gentille fiction proposée en guise d’explication au jardin secret.
Laissez moi en proposer une autre.
Tout est en fait secret, refoulé, caché, verrouillé, protégé, interdit, enfoui, dissimulé, contenu, camouflé, escamoté, tu et non-dit…
Uniquement en vitrine, quelques éléments épars peuvent laisser deviner aux plus clairvoyants des bribes de ce qui se trame à l’intérieur.
« C’est mon jardin secret » équivaut à dire « C’est moi ».
Dans cette hypothèse, il faut accepter de n’être pour l’autre ni le seul ni le premier – c’est la définition même de la blessure narcissique, principal levier pour grandir…
On n’entrera chez l’autre qu’une fois invité, et avec infiniment de respect, de discrétion et de reconnaissance pour un accueil aussi risqué.
Les envahisseurs de terrain conquis seront reconduits à la porte.
Les partages d’intimité auront donné lieu à des contrats précis et équilibrés.
La spontanéité ( quand même !) sera mise sous une légère tutelle, pour vérifier qu’elle n’a effectivement que des avantages.
Laissons aux amoureux de la première heure les « on se dit tout » et les transparences volontaristes.
Qui peut réellement apprécier d’être « transparent » ? Relisez le mot plusieurs fois…
C’est quand sonne la onzième heure qu’on se rend compte que, de notre jardin secret à celui de l’autre, on n’a sans doute pas communiqué, mais que cela n’a pas empêché de se sentir en communion.
Tiens, voilà un mot à considérer.
Christophe Marx
Avril 2014
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