Le comportement de certains thérapeutes est susceptible de porter préjudice à leur patient-e, et ceci est particulièrement important, dans le contexte actuel qui traque, à juste titre, toute dérive sectaire ou pratique d’emprise.
Il est un sujet pour lequel la compétence technique du thérapeute rejoint l’éthique : c’est celui de la sexualisation du lien thérapeutique.
Plus fréquent dans le sens thérapeute- homme/ patiente- femme –même si la symétrique s’analyse de façon homogène, ce dérapage est souvent et principalement justifié par les thérapeutes de deux manières :
Soit en prétextant réconforter une patiente bouleversée,
Soit en attribuant la faute à celle-ci, qui aurait abusé d’arguments de séduction.
Leur propre responsabilité, d’après eux, serait donc atténuée voire annulée par le tour que la patiente-femme aurait fait prendre à la relation.
Un autre argument auto exonérateur de culpabilité consiste à évoquer le fait que la relation sexualisée ne se serait pas déroulée pendant une séance, mais en dehors de celle-ci, voire après la « fin de la thérapie », la partenaire perdant alors son statut de patiente, donc son immunité sexuelle déontologiquement affirmée.
Cette argumentation est techniquement invalide et éthiquement déplorable.
1) Le thérapeute est en position symbolique supérieure : non pas en tant qu’être humain, mais vis-à-vis de la génération. Indépendamment de l’âge des protagonistes bien sûr. Dans sa fonction de re-père, il doit à sa patiente la protection qu’un père offre à sa fille : celle de ne pas la considérer comme une partenaire sexuelle. Cet interdit de l’inceste, premier rempart contre la loi du plus fort, fonde la civilisation et la promesse d’une croissance harmonieuse pour tous. Interdire l’inceste, c’est récuser l’abus de pouvoir, protéger le plus faible et nommer la violence au lieu de la cacher ou la justifier.
2) Il en découle que la relation thérapeutique doit être radicalement, complètement et massivement débarrassée de toute connotation sexuelle. Certains beaux esprits se plaisent à rétorquer que ce voeux pieux est condamné à rester lettre morte, car les êtres étant ce qu’il sont, la sexualité ne peut être évacuée de la relation par décret, et qu’il faudra bien faire avec. Tout au plus, conviendront-ils qu’il faut limiter les dégâts. Il est confondant de voir la facilité avec laquelle on se résoudrait à laisser les prédateurs abuser de leur pouvoir : il existe heureusement des hommes qui savent canaliser leur sexualité, et des thérapeutes qui, modestement, se bornent à recruter leurs partenaires sexuelles en dehors de leur clientèle.
3) La responsabilité de tenir la relation thérapeutique à l’écart de tout enjeu sexuel incombe exclusivement au thérapeute. En effet, une patiente qui se révélerait séductrice ne ferait que rejouer, dans le transfert le drame de sa souffrance d’enfant. Elle manifeste dans ce cas, la croyance qu’elle ne peut recevoir d’un homme une attention durable et protectrice qu’en l’attirant sexuellement, voire même en le récompensant par la promesse d’un passage à l’acte. Ce « pattern » destructeur est rejoué dans la thérapie, et le but est d’aider la patiente à découvrir qu’elle peut bénéficier d’un lien protecteur et pérenne sans avoir besoin de se soumettre à cet abus de pouvoir. Si le thérapeute « tombe dans le panneau », c’est l’Enfant intérieur de sa patiente qu’il fracasse. Non seulement il ne l’aide pas à sortir de son pattern infernal, mais il le confirme, en rejouant le drame dont la patiente demandait à être sauvée.
4) Il existe deux façons de sortir de cet enfer : ces deux façons ne font qu’aggraver encore la situation de la patiente. La première consiste pour le thérapeute à récuser l’accusation de manipulation et de se montrer ( ou de se croire) réellement amoureux. Voilà la patiente affublée d’un prétendant encombrant, empêtré dans ses promesses d’aide thérapeutique dans laquelle il était question de la considérer comme prioritaire et qui tout à coup se met à jouer sa propre partition de partenaire (donc à « parité »). La seconde consiste à stopper là une relation qui se révèle ingérable, abandonnant ( c’est le cas de le dire) la patiente en rase campagne, en lui enlevant même le moindre espoir d’un salut auprès de quelqu’un d’autre.
5) Le comble de la mauvaise foi consiste à jouer sur la question de l’argent. Soit en faisant régler à la patiente ses séances, comme pour maintenir un masque pathétique de lien thérapeutique ( le thérapeute se faisant alors rémunérer pour les gratifications sexuelles qu’il reçoit), soit en interrompant le règlement pour se réfugier derrière l’idée fallacieuse que la patiente n’en est plus une et que la « relation a évolué »!
6) Abordons la question du délai après la fin de la thérapie, qui rendrait à la patiente sa virginité relationnelle, et ré-ouvrant les portes d’une sexualisation enfin autorisée. Toute pratique clinique tant soit peu prolongée expérimente que l’on peut revenir vers la personne de son thérapeute des années durant, même après la fin de différentes « tranches » de thérapie. Le lien thérapeutique se fonde au plan symbolique sur un engagement du thérapeute, de respecter la distance adéquate pour protéger la patiente. Cet engagement ne peut être qu’unilatéral et définitif, puisque son caractère symbolique le met à part de tout arrangement fonctionnel rendu nécessaire par le contexte d’un contrat. Le lien thérapeutique procède certes d’un contrat, mais le positionnement du thérapeute qui le rend apte à honorer ce contrat, est d’un autre ordre. La fille, devenue une adulte, reste symboliquement dans la filiation de son père, sans question de délai. Et l’appeler à retourner sexuellement vers son origine, équivaut non seulement à lui barrer la route de la croissance , mais à lui interdire d’être sujet de sa vie, en la cantonnant au rôle d’objet consommable par le plus fort.
La patiente, dans le cadre du transfert, n’a aucun moyen de se rendre compte de tous ces pièges.
En cas de dérapage, elle n’est que victime.
Le thérapeute assume à 100% la totalité de la faute.
Les Codes de déontologie de toutes les associations de thérapeutes affirment, sans aucune exception, ce positionnement éthique.
8) A noter enfin que la sexualisation du lien thérapeutique n’est pas qualifiée uniquement par le coït, qu’il soit imposé par la force ou gagné par la douceur. Les patientes doivent avoir leur attention attirée par certains comportements équivoques tels que par exemple :
– Caresses, souvent présentées comme une méthode d’apaisement émotionnel.
– Implication corporelle et émotionnelle du thérapeute en tant que personne
-Évocation par le thérapeute de ses propres sentiments, troubles ou attirances.
– Invitations à se sentir spéciale, à établir des relations extra-thérapeutiques même anodines ( écouter de la musique ensemble, aller manger au restaurant…)
Les méthodes thérapeutiques qui recommandent d’utiliser la dimension du toucher et de l’approche corporelle ont développé parallèlement des garde-fous explicites. Se référer à ces méthodes pour justifier un dérapage éthique trahit une méconnaissance coupable –et donc professionnellement condamnable, des impératifs légaux recommandés par ces méthodes.
Nathalie Gimenez
Christophe Marx
Décembre 2012
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