Article paru dans la revue Synapse Décembre 2002
Une patiente pleurait à chaudes larmes devant son interlocuteur, un jeune psychiatre en herbe. Percevant son désarroi, elle lui lança entre deux sanglots : « Ne vous inquiétez pas, Docteur, les larmes sont du côté de la vie ! » Le petit docteur rengaina son Prozac en même temps que son stylo, ouvrit grand ses oreilles et décida de compatir régulièrement au rythme d’une fois par semaine pendant quelques mois.
Compatir et attendre.
Et le chagrin de la dame s’évapora doucement, gentiment comme neige au soleil. Dépression majeure, forme légère ou moyenne ? Trouble de l’adaptation avec humeur dépressive ? Chagrin réactionnel ? Peu importe à la limite le diagnostic DSM IV, CID 10, synchroniquement, cognitivisme ou néo-jacksonnien, l’essentiel est que ce jour-là , le futur Hippocrate apprit à soigner sans nécessairement prescrire.
Il apprit aussi à reconsidérer les pleurs car les larmes constituent un beau, un magnifique instrument de communication. A la fois auto-centrées, dans une catharsis libératrice, et hétéro-adressées comme un tragique essai de communication, elles sont à l’opposé de la forteresse sèche de la mélancolie. Ce type d’apprentissage est fondateur dans la carrière d’un médecin.
Plus tard, il apprit aussi à lire entre les lignes. Déchiffrer ce que ni ses maîtres à l’université, ni son (presque) seul et unique dispensateur de formation continue, l’Industrie Pharmaceutique, ne lui avaient jamais enseigné, à savoir que les antidépresseurs, pour obtenir l’AMM sont testés pour l’essentiel sur des dépressions majeures formes sévères dans lesquelles ils marchent sans conteste, mais que les très rares études qui tentent d’établir une efficacité des médicaments dans les formes les moins graves, ne démontrent que de manière rarissime une supériorité par rapport au placebo.
Ainsi, une récente méta-analyse ( Casacalenda Am J. Psychiatry, 2002 ;159 : I 354-60) a permis de comparer les résultats de différentes prises en charge de patients légèrement ou moyennement déprimés, selon qu’il recevaient un anti-dépresseur, une psychothérapie interpersonnelle, d’inspiration cognitivo-comportementale ou rien ( groupe contrôle).
A partir de 883 patients ambulatoires traités entre 10 et 34 semaines ( moyenne 16) il s’avère que les deux approches sont efficaces, puisqu’elles font mieux que rien.
Le pourcentage de rémission en cas de traitement antidépresseur est de 46,4.
En cas de psychothérapie, il atteint 46,3.
Il n’est que de 24,4% dans le groupe contrôle.
Les abandons de traitement en cas de traitement concernent 54,4% des sujets.
Il concerne 37,1 des médicamentés, et 22,2% des psychothérapés.
Conclusion, tous les traitements validés de la dépression légère sont équivalents en terme d’efficacité, mais ce sont finalement les psychothérapies qui sont objectivement les meilleurs car les mieux tolérées donc les mieux suivies….
Depuis, grâce à des lectures choisies, notre jeune psychiatre sait pourquoi il est correct et préférable de ne rien prescrire à certains déprimés non sévères. Mais maintenant, il se demande pourquoi la France reste le leader mondial des prescripteurs de médicaments, notamment des psychotropes, en particulier antidépresseurs. Il se dit que les données socio-démographiques hexagonales, le QI moyen des médecins, la pression industrielle, l’organisation des soins, ne la différencie guère des autres pays industrialisés, que tout y est comparable… tout, sauf l’organisation de son enseignement.
Chez nous, contrairement à celui de la clinique, l’enseignement de la thérapeutique reste souvent un genre mineur, et nos professeurs, il faut bien le dire, sont souvent plus (sur-) occupés par leurs multiples tâches que par la pratique clinique quotidienne. Et chez nous encore, la révérence aux maîtres et l’argument d’autorité sont tels que nul ne s’étonne jamais que le traitement de l’insomnie soit enseigné par ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une unité de sommeil et du coup se résume à des conseils de prescriptions hypnotiques, et que celui de la dépression soit assuré par des spécialistes de la schizophrénie ( et vice-versa).
Le titre ( parfois) tient lieu de savoir.
Rien, ou presque n’est jamais dit au cours des études de médecine sur les techniques de communication, le gestion du refus… et du coup, on (ne) s’étonne (pas ) que toute demande un peu pressante d’ordonnance ou d’arrêt de travail soit exécutée ( étude en cours de publication, menées auprès de 120 généralistes).
Pourquoi ne jamais faire appel aux spécialistes de la communication comme cela se pratique dans la plupart des autres métiers appelés à être en contact avec le public ?
Certes, il est des universitaires qui enseignent l’écoute et la relation. Il existe même un programme obligatoire de formation en psychothérapie pour les internes DES.
Une part importante de l’enseignement est effectuée par des non-universitaires dans les services et les séminaires. Mais tout cela reste très insuffisant, comme le montrent à l’envi les chiffres de vente dans les officines. D’autant que ce sont les généralistes, et non les psychiatres qui prescrivent ( 91% des benzodiazépines). Ce sont eux qui devraient constituer THE cible des techniques de relation…
Je rêve de cours donnés à deux voix, une voix « savante », fondamentale, théorique et une voix « praticienne », vécue « les mains dans le cambouis des ordonnances », chacune contrôlant l’autre. Je rêve aussi de jeux de rôles, de psychodrames, de scénarios où les (futurs) praticiens apprendraient à dire non puisque apparemment , seuls de toute la profession les médecins-conseils arrivent à maîtriser cet étrange exercice.
Mais pour le moment, le « oui » l’emporte et de loin. Prescrivez, associez, Dieu et les récepteurs reconnaîtront les leurs, ceux des médicaments utiles dans l’inquiétant fatras de certaines bouillabaisses pharmacologiques à dispensation prolongée.
Ainsi va le microcosme psychiatrique… pour le plus grand bonheur de l’industrie, principal financeur des différentes associations de recherche et d’enseignement.
Que pleurent nos crocopolitodiles décideurs de non-réformes de fond de l’enseignement de la médecine. Qu’ils continuent à ne pas impliquer les praticiens de terrain dans l’enseignement magistral de la thérapeutique. Qu’ils larmoient sur l’exception culturelle française qu prescrit près de huit fois plus de tranquillisants que l’Angleterre , cinq fois plus que les USA.
Qu’ils sanglotent sur les comptes de la Sécurité Sociale.
Mais qu’ils n’oublient pas de méditer sur le destin tragique des archaïques sauriens, un fois qu’ils ont atterri chez Hermès .
Tiens, encore une exception culturelle.
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