Revue de texte par le Dr Christophe Marx
Il ne suffit pas de quantifier ce qu’on observe pour “faire de la science”.
Il est même une polémique qui fait rage actuellement dans le mileu de la psychologie :
Doit-on, en matière de relation humaine, ou de psychothérapie, se calquer sur les démarches scientifiques de protocoles, de comptabilisation, de statistiques ?
Bien sûr, répondent certains, c’est même la seule façon de prouver l’efficacité de ce que l’on prétend appliquer.
Surtout pas, répondent les autres, qui pensent que chaque cas est unique, et que, même si la psychologie est une “science” humaine, on ne peut résumer la totalité de ce qui se passe dans la relation thérapeutique ou dans le coeur d’un être humain par des tableaux, des courbes, et des moyennes.
Foin des statistiques, donc, et assumons la rupture avec le monde des ’scientifiques qui comptent”.
Le Dr Anastasia Roublev, dans une rubrique du Journal International of Medecine, a repéré une étude très particulière, et le compte rendu qu’elle en fait peut apporter de l’eau au moulin de cette polémique.
Mais écoutons-la plutôt :
“Les anglo-saxons, adeptes de Hume plus que de Descartes, professent une passion immodérée pour l’empirisme qui leur a valu un succès certain dans les sciences exactes.
Cette religion de l’expérience qui prime le raisonnement a permis à la médecine d’accomplir d’immenses progrès depuis 50 ans et de s’éloigner d’une pratique souvent plus idéologique que scientifique qui était celle des années 50 dans les pays latins.
Cependant, l’esprit de système qui caractérise les américains peut amener à des dérives graves lorsque la soif d’expérience ne s’applique plus à des phénomènes biologiques ou pathologiques, mais à la psychologie humaine.
L’étude publiée le 4 avril par la plus prestigieuse revue médicale du monde le New England Journal of Medecine en est un exemple frappant.
La question que se sont posée à eux-mêmes des épidémiologistes de Yale en mal de publications était la suivante : les préférences exprimées par les patients en phase terminale quant à leur traitement ne seraient-elles pas modifiées si la probabilité de résultats positifs et les risques des thérapeutiques proposées leur étaient exposés de façon plus rigoureuse ?
Pour résoudre « scientifiquement » ce problème T Fried et coll. ont imaginé et réalisé, avec l’accord de leur comité d’éthique, une expérience à la fois cruelle et inepte.
Le principe de l’étude était de mesurer l’avis de patients en situation, c’est à dire atteints d’une maladie incurable avec une espérance de vie très limitée. Sur les 548 patients sélectionnés, seuls 226 ont participé réellement à l’étude, ne serait-ce que parce que 5 % d’entre eux sont morts avant d’avoir pu être interviewés.
Les 226 malades souffrant de cancer, d’insuffisance cardiaque ou d’insuffisance respiratoire à des stades évolués ont été interrogés à leur domicile. Schématiquement, une fois que très charitablement l’interviewer ait rappelé que sans traitement la seule issue était pour eux la mort et après leur avoir demandé d’évaluer en semaines leur espérance de vie, la première question posée était de savoir si ils accepteraient un traitement relativement léger (pas plus d’une semaine d’hospitalisation) avec un très fort espoir de retour à l’état de santé habituel. 98,7 % des sujets ont répondu oui et 1,3 % non (soit trois malades probablement grands dépressifs, sourds ou au sens de l’humour particulièrement développé). Trois nouveaux scénarios étaient alors proposés aux 223 malades qui avaient manifestés leur désir de vivre :
– un traitement très lourd (au moins un mois d’hospitalisation si nécessaire en réanimation) avec un espoir de retour à un état de santé normal ;
– un traitement léger avec un risque évoluant de 1 à 99 % de séquelles fonctionnelles importantes ;
– un traitement léger avec un risque évoluant de 1 à 99 % de séquelles cognitives importantes (par exemple ne plus être capable de reconnaître sa famille).
Les résultats de ces véritables séances de torture, infligées à des patients confrontés à leur problème réel de survie et à des dizaines d’hypothèses théoriques, hélas pour eux sans rapport direct avec leur cas, sont présentés sous forme de pourcentages et de courbes.
On y apprend avec intérêt que 88,8 % des malades acceptent un traitement lourd si l’espoir de guérison sans séquelles est grand mais que plus la probabilité de séquelles fonctionnelles ou cognitives est élevée, même avec une thérapeutique légère, moins les sujets optent pour un traitement, le pourcentage de réponses positives atteignant toutefois 25,6 % avec 99 % de risques de séquelles fonctionnelles et 11,2 % avec 99 % de risque de séquelles cognitives graves.
Comme s’ils avaient observé les réactions d’un groupe de cobayes, T Fried et coll. concluent très doctement que leur étude démontre que le choix des patients dépend (qui l’eût cru !) à la fois de la pénibilité du traitement mais aussi de ses risques et de ses chances de succès. Ils manifestent un certain étonnement sur l’acceptation par une grande majorité de malades d’un traitement lourd avec 50 % de risque de séquelles fonctionnelles ou cognitives importantes ce qui selon eux traduit une volonté profonde (et déraisonnable ?) de ne pas mourir (sic).
Ils terminent par un coup de chapeau aux sujets âgés qui intègrent très bien la notion de probabilité, mais regrettent simplement que les réponses des patients aient pu être viciées par une vision par trop optimiste des sujets sur leur propre pronostic.
Au delà de l’inanité de ce travail qui n’améliorera en rien la prise en charge des malades en phase terminale qui ne correspond que bien rarement aux scénarios simplistes présentés, on ne peut que s’interroger sur le rôle de comités d’éthique d’institutions aussi prestigieuses que Yale.
Et imaginer, à la fin de l’entretien, le vieux monsieur fatigué demander au jeune interviewer bien coiffé et en bonne santé :
– « Mais parmi tous les traitements dont vous m’avez parlés, lequel me proposez vous ? »
– « Vous verrez cela avec votre médecin traitant, au revoir monsieur, et bonne journée ! »
Si vous êtes sceptiques, reportez vous à l’article original : Fried T et coll. : “ Understanding the treatment preferences of seriously ill patients.” N Engl J Med 2002; 346: 1061-66.
Décidément la science et la médecine sont des choses trop sérieuses pour être confiées aux scientifiques et aux médecins !
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