Charlie
« Dis Papa, pourquoi tout le monde écrit partout « Je suis Charlie » ? »
Fiston d’un air grave contemple les autocollants et les étiquettes.
– « Tu as entendu comme moi ce qui s’est passé. Les gens se sentent solidaires des victimes, surtout quand ce sont des journalistes, alors ils disent qu’ils sont comme eux, qu’ils sont… eux ! »
Fiston fait une moue perplexe, les yeux dans le vague.
– « D’accord mais pourquoi -je suis – ? Et puis, il n’y avait pas que des journalistes …»
Depuis toujours, Fiston n’abandonne pas tant qu’il n’a pas eu de réponse à sa question.
C’est un peu compliqué, mais je me lance :
– « Il y a longtemps, en mai 68, un contestataire qui était à la fois français et allemand, Daniel Cohn-Bendit avait été interdit d’entrer en France. Alors, tous ceux qui le soutenaient avaient déclaré « Nous sommes tous des juifs allemands ». Tu vois c’était un peu pour dire qu’ils réclamaient le même sort, la même sanction, tout en sachant que ce ne serait pas possible. »
Fiston hoche la tête, manifestement pas convaincu par la logique de mon explication.
« Mais pourquoi » ajoute-t-il gravement « on parle toujours des 17 morts, alors qu’il y en a eu vingt » ?
– « Parce que les trois autres, ce sont les terroristes, ça ne compte pas ! »
Je me rends compte de ce que je viens de dire, et je corrige rapidement, car le regard de Fiston me cloue sur place.
– « Je veux dire que… que c’est de leur faute, donc comme ils ont tué ceux qui nous sont chers, eh bien… ils méritent d’être tués… donc on les compte pas, voilà ! »
« Attends papa, ces gars là, on leur a fait croire des tas de bêtises, ils sont les premières victimes ! Tu veux dire que maintenant tu es pour la peine de mort sans jugement ? »
Oh là là, dans quoi je me suis embarqué… Je bats en retraite.
« Tu as raison, on va dire vingt morts, vingt victimes, dont trois assassins… Un être humain, c’est un être humain. Si on commence à retirer à nos ennemis leur statut d’humanité pour justifier leur exécution, on fait comme les terroristes, en fait !»
Fiston hoche gravement la tête et hausse les sourcils en signe d’évidence.
Son regard s’assombrit tout à coup.
– « Papa, il va y a avoir d’autres attentats ? »
-« Sans doute Fiston. Ici et ailleurs aussi : le monde souffre de mille violences en permanence. Tu sais, on va aller écouter la parole de ceux qui, dès avant le 7 janvier résonnaient d’une pensée profonde et témoignaient par leur propre vie. Mais ceux là ne se précipitent pas forcément pour parler les premiers. »
– « Ils font des dessins marrants ? » interroge Fiston, visiblement attiré par le projet.
– « Ça peut leur arriver. Même s’ils n’ont pas le cœur à rire, même dans la détresse, les humains savent souvent garder leur humour, leur générosité, leur pensée lucide… »
– « Ouah, c’est vraiment top, de savoir faire çà ! » s’exclame alors Fiston. « C’est plutôt une bonne nouvelle… Ils sont nombreux les gens qui savent ça et à qui ça donne de l’espoir ? »
– « Je sais pas précisément combien ils sont en France, mais l’autre jour en tout cas, j’en ai vu quatre millions dans la rue… »
Christophe Marx
Janvier 2015 après le massacre du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo.
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