Médicaments et/ou Psychothérapie : B. Cyrulnik se mouille face aux médecins

Cyrulnik: ‘’Les psychotropes, un symptôme culturel’’. Boris Cyrulnik, psychiatre et neurologue, est surtout connu pour avoir développé le concept de ‘’résilience’’ Par Anne-Laure BARRET, Le Journal du Dimanche du 23/08/2008

Boris Cyrulnik est l’un des 15 signataires de l’appel publié dans Psychologies Magazine. (Maxppp) GBoris Cyrulnik, psychiatre et neurologue (1), est surtout connu pour avoir développé le concept de “résilience” (renaître de sa souffrance). Au côté de quatorze grands médecins, il s’engage contre l’abus de psychotropes dans un appel lancé par le magazine Psychologies et relayé par le JDD. Pour lui, le mal-être ne doit pas être surmédicalisé…

Faut-il bannir les psychotropes?

Il y a des gens que les psychotropes sauvent. Il y a des mélancoliques qui, sans antidépresseurs, seraient incapables de quitter leur lit et ne pourraient pas aller voir un médecin. Il y a des délirants qui souffrent énormément et qui font énormément souffrir autour d’eux et qui sont soulagés par des antipsychotiques. Il y a des malades qui sont torturés par une alternance entre euphorie maniaque et dépression mélancolique et qui sont stabilisés de manière stupéfiante par le lithium. Pour tous ces gens-là , les psychotropes sont vitaux. Mais cela n’empêche pas -au contraire cela permet- la psychothérapie qui est le vrai traitement.

Et les autres consommateurs de psychotropes, sont-ils tous malades?

Ils ne sont pas malades mais ils ont des angoisses existentielles auxquelles personne n’échappe et ils les affrontent en prenant des médicaments. C’est un symptôme culturel. On met l’accent sur la tranquillisation chimique, on oublie la tranquillisation verbale, relationnelle. La prescription abusive de psychotropes est un témoin de notre défaillance culturelle. Notre culture propose également des stimulants chimiques pour mettre au monde des enfants, gagner les jeux olympiques et mieux travailler. Avant on codait les relations humaines, il y avait des rituels, maintenant il y a de moins en moins de rituels et on voit des adolescents boire de l’alcool, se doper, simplement pour oser courtiser une fille.

En dehors de l’angoisse, les gens frappés de fatigue chronique ne peuvent-ils pas être aidés grâce à des médicaments?

Très souvent ces fatigues chroniques sont de petits états dépressifs. Beaucoup sont dues à la sédentarité dans laquelle nous vivons. Contrairement à l’effort intellectuel, l’effort physique provoque la sécrétion d’une endorphine qui est euphorisante. Les gens sont fatigués par leur travail parce qu’ils se servent beaucoup moins de leur corps qu’avant.

Au-delà des conséquences négatives de l’individualisme occidental, comment expliquez-vous que les Français consomment plus de psychotropes que leurs voisins européens?

Les Anglais en consommaient beaucoup moins que nous jusqu’au jour où ils ont calculé que les arrêts de travail leur coutaient plus chers que la prescription de ces médicaments. La surconsommation française est sûrement liée au fonctionnement de notre système de sécurité sociale et à la formation de nos généralistes.

Selon la Cnam, les généralistes prescrivent trop de psychotropes. Sont-ils bien formés?

A l’université, on leur apprend à prescrire des psychotropes. Pour qu’ils en prescrivent moins, il faudrait leur donner une vraie formation psychologique, ce qui est loin d’être le cas.

Qu’en est-il des problèmes de sevrage causés par les tranquillisants?

On est moins accroc aux tranquillisants qu’à l’alcool, à la cigarette ou au cannabis, des produits valorisés culturellement. Il y a une dépendance quand, dans l’existence humaine, il n’y a pas d’autre sens. Si on trouve un sens à la vie, on arrive à arrêter ces médicaments. Ce n’est pas l’avis de la majorité des psychiatres mais moi je pense qu’on peut facilement arrêter ces médicaments dès qu’on commence une psychothérapie, dès que les gens arrivent à donner sens à leur vie. J’avais par exemple un patient ingénieur qui n’arrivait pas arrêter ses tranquillisants. Il en prenait depuis des années. Il a trouvé un boulot magnifique dans un Emirat arabe avec un salaire faramineux et des conditions de travail et d’existence formidables. Il était embêté avant le départ car il savait qu’il ne pourrait pas en trouver là -bas. Je lui en ai prescrit une boîte. Quelques mois plus tard, il m’a écrit pour me dire que dès qu’il avait été engagé dans sa nouvelle existence, il avait complètement arrêté les tranquillisants sans dépendance. C’est la preuve qu’il ne faut jamais réduire l’homme à sa condition chimique. “Chercher le bonheur est déjà le début du bonheur”

Quelles solutions alternatives aux médicaments préconisez-vous?

Il y en a plein : la solidarité affective, le développement de la vie collective, l’oeuvre d’art (cinéma, lecture), la marche à pied et éventuellement la psychothérapie. Tous ces mécanismes culturels sont des tranquillisants naturels pour l’homme. Tout ce qui brise la solitude – qui est le plus sûr moyen de devenir anxieux et dépressif- est utile.

A qui sont destinées les psychothérapies?

La psychothérapie, ça veut dire soigner par l’âme. On en a tous besoin. Ca ne veut pas dire qu’on ait tous besoin d’un psychiatre ou d’un psychologue mais on a tous besoin de s’expliquer, d’aimer, de lire, d’aller voir un match de foot. La psychothérapie est inhérente à la condition humaine. Tout être humain ne peut vivre que s’il a autour de lui un autre, une autre. C’est la solidarité affective qui provoque culturellement cette psychothérapie. Parfois, il y a eu des tragédies dans notre existence ou des difficultés de développement pour lesquelles notre culture ne prévoit pas de réparation. Dans ce cas-là , on peut aller voir un psychothérapeute.

Comment trouver un bon psychothérapeute?

On peut demander conseil à un généraliste ou à un ami. On dit psychothérapie pour aller vite mais c’est un raccourci: il y a plusieurs dizaines de psychothérapies différentes et chaque thérapeute a sa propre méthode. Ce qui compte, c’est la rencontre entre une personne qui souffre et qui cherche une autre personne capable de l’aider à se décentrer d’elle-même pour comprendre sa souffrance et mieux se défendre dans la vie.

Faut-il réglementer cette profession?

Je suis très mal à l’aise avec cette question. D’un côté, il n’est pas nécessaire d’être médecin pour être un bon psychothérapeute. De l’autre, on trouve dans ce milieu des charlatans qui devraient être interdits d’exercice.

Les enfants et les adolescents consomment-ils trop de psychotropes?

Il y a chez les enfants un bouillonnement développemental extrême qui, la plupart du temps, peut être géré par l’adulte au moyen d’écoute et de parole. Dans un nombre très petit de cas cependant, on voit des enfants protégés par les médicaments. Les prescriptions étant très surveillées, il n’y a pas tellement de surconsommation. Mais le problème avec les enfants, c’est que la prédiction est très difficile à faire. Il y a des enfants très altérés qui, après l’adolescence, deviennent de jeunes adultes équilibrés, paisibles. On voit au contraire des jeunes équilibrés, faciles qui, après l’adolescence, basculent et traversent des années de grande souffrance. Et quand un adolescent souffre, il fait souffrir autour de lui.

Peut-on apprendre à être heureux?

On peut apprendre à chercher le bonheur ce qui est déjà le début du bonheur. Mais la recherche du bonheur est une exigence récente puisqu’elle date de la Révolution française. On croit que le bonheur est une entité, quelque chose en soi alors que beaucoup de cultures pensent qu’on ne peut pas être heureux sur terre. La culture occidentale chrétienne, par exemple, disait que le passage sur terre est une vallée de larmes entre deux paradis, le paradis perdu et le paradis à retrouver si on a été sage sur terre. La recherche du bonheur, récente, provoque paradoxalement beaucoup de malheur…

(1)De Chair et d’Âme, Éditions Odile Jacob, 2006. Cyrulnik: ‘’Les psychotropes, un symptôme culturel’’

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