Article transmis à la rédaction d’AGIS par le Dr Christophe Marx
Auteur de l’ouvrage : “Mais où est passée ma libido ?” Ed Eyrolles.
Il semble que la religion judéo-chrétienne possède, en Occident une réputation extrêmement répressive, non seulement pour les actes, mais, ce qui est plus grave pour les désirs, et les fantasmes.
En ce domaine, c’est l’église Catholique qui est en tête des reproches, mais c’est l’ensemble de la tradition judéo-chrétienne qui semble responsable, en vrac, de la culpabilisation massive responsable de névroses graves, du rejet du préservatif, de l’homosexualité, de la masturbation, de la contraception, et de tout ce qui concerne la jouissance.
Cela dit, on se rend compte désormais, qu’il existe aussi des inconvénients àl’interdiction d’interdire, et que, jouir sans entrave risque d’être peu protecteur autant pour la santé physique que mentale.
Au passif de la religion, convoquons devant notre tribunal St Jérôme, qui dit que « rien n’est plus immonde que d’aimer sa femme comme une maîtresse ».
St Augustin, assez naïvement, observe que les gens se cachent durant leur activité sexuelle. Il en tire argument pour penser qu’il y a donc làquelque chose de mal !
L’apogée de la culpabilisation est atteinte au XIX° siècle, comme on le constate par exemple en lisant le manuel des confesseurs et qui indique « in re sexuali, non datur parvîtes materiae », en ce qui concerne la sexualité, il n’y pas de petite faute.
Cette phrase peut d’ailleurs se comprendre de deux façons, dont une plutôt sympathique :
Il y a de grandes fautes ( le viol, la pédophilie, l’inceste…), quant au reste, faites ce que vous voulez !
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Les interdits religieux peuvent être entendus de deux façons :
Par les croyants d’une part, qui y verront un guide précieux pour leur vie quotidienne. Notons àce propos que les interdits sont bien plus confortables que les obligations, puisqu’ils autorisent tout le reste, alors que les obligations enferment la personne dans un comportement univoque.
Par les non-croyants, qui se plaindront alors de subir, par contre-coup, et par le biais d’une éducation culturelle culpabilisante, un conditionnement qui entraverait leur développement et serait àl’origine de névroses plus ou moins curables.
La discussion avec ces tous ces gens-làest assez difficile àentamer :
Aussi bien avec les croyants, qui ne demandent rien àpersonne, et sont heureux de pratiquer leur religion, qu’avec les autres qui sont en guerre contre leur éducation, leur culture, leurs parents mais qui ne connaissent de la religion proprement dite que ce qu’ils en ont subi : c’est-à -dire la castration de leur désir.
Reste àsavoir ce que les religions pensent vraiment du désir dans sa dimension sexuelle : ce sera làle propos de mon intervention.
Toutefois, cette vaste question se devra d’être compactée dans le temps qui m’est imparti, aussi me limiterai-je àévoquer la religion judéo-chrétienne, largement constitutive de notre culture occidentale.
Nous ne dirons qu’un mot du bouddhisme, ou plutôt des bouddhismes, tant ils sont nombreux et différents : la sexualité y est vue comme un lieu de passion, d’attachement, de désir, d’émotions puissantes… Inutile d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas làd’une voie recommandée, sans doute tolérée pour les couples, mais qui s’accommode mal du détachement prôné par cette approche philosophique .
Il n’existe donc pas d’interdits particuliers, mais une défiance généralisée àl’encontre de la sexualité et de ses ferveurs.
En Islam, la sexualité est surtout évoquée dans le contexte exclusif de la vie de couple, et dans une perspective de fécondité, et le plaisir sexuel en lui-même n’y est pas condamné, en tous cas pour les hommes.
C’est dans la tradition judéo-chrétienne, il faut le dire accusée de toute part que l’on va retrouver une attitude plus complexe, et donc soumise àplus de malentendus.
Le malentendu ne date pas d’hier : Celse, un néo-platonicien du 2° siècle, désignait les chrétiens du quolibet de « philosomaton genos » c’est-à -dire le peuple qui aime le corps.
Il fallait certes qu’ils l’aimassent pour assumer une religion de la résurrection de la chair, et pas seulement de l’âme, une religion de l’Incarnation, et où les sacrements se donnent dans une matérialité, qui, pour symbolique qu’elle soit, n’en concerne pas moins les sens ( pain, vin, eau, huile…)
Comme en réponse àtous les contempteurs du corps, François de Sales, dans son Traité de l’Amour de Dieu recommande d’aimer son corps comme une image vivante de celui du sauveur incarné.
Certes le christianisme a plus facilement valorisé le corps souffrant, travaillant, célébrant que le corps jouissant.
Encore que les descriptions que les mystiques font de leurs « extases » ressemblent fort, et même en bien plus intense, àdes jouissances profondes et prolongées.
Nous pouvons l’affirmer tout net : il n’y a dans la Bible aucune marque de mépris, ni àl’égard du corps ni àl’égard du plaisir ;
Des Proverbes ( 5,19) : « Trouve ta joie dans la femme de ta jeunesse, Biche aimable, gracieuse gazelle, qu’en tout temps ses seins t’enivrent … » jusqu’àfameux Cantique des Cantiques dans lequel l’amour physique de deux amoureux sert àdécrire l’union mystique de l’âme àDieu.
Il n’en reste pas moins que ces malentendus suscités par la tradition judéo-chrétienne sont au moins au nombre de trois :
La confusion avec l’approche stoïcienne : pour les grecs en effet, le comble du bien se trouve dans le contrôle de soi et dans la raison. Il aura suffit que le message biblique se trouvât réduit àune morale destinée àrégir les comportements, pour que la superposition des ces deux approches fassent les dégâts que l’on sait. En fait, on ne trouve nulle part de condamnation de la sexualité en tant que telle dans la Bible, et Jésus a refusé de juger la femme adultère, en trouvant en plus le moyen de lui éviter la mort pourtant prescrite par la loi.
La confusion avec l’ordre bourgeois, qui date du dix septième siècle, pour lequel la régulation sociale passait par une sorte de mise au pas de la population dont on attendait qu’elle aille travailler chaque matin, plutôt que de se prélasser au lit après une folle nuit d’amour. L’impératif moral n’est ici qu’un alibi, masquant maladroitement un projet politique d’embrigadement de la société au profit d’un système économique exigeant.
La confusion avec la nécessité d’une filiation repérée : Tant sur un plan juridique qu’économique ou psychologique, il est dans nos sociétés important de savoir qui est l’enfant de qui . La dérégulation de la sexualité, àlaquelle la contraception médicalisée n’apporte qu’une solution médiocre, aurait pour effet un bouleversement social, provoquant une indifférenciation relationnelle et un fracas structurel majeur.
Au delàde ces malentendus, nous avons besoin d’un grille de compréhension de ces interdits judéo-chrétiens :
1_ Ils fixent les conditions dans lesquelles la personne va pouvoir rester sujet de sa propre vie, et sujet de relation avec les autres : il va en effet être question d’éviter la violence, les intrusions et abus de toute sortes du fort àl’encontre du faible.
La jouissance sexuelle est un débordement qui demande àêtre canalisé.
Du verbe grec orgao ( bouillonner) sont tirés les mots orgasme, orgie et colère ( orgê).
On peut appréhender ce désordre dans plusieurs situations :
– participation àdes forces cosmiques
– transgression des limites jusqu’àla violence
– fête privée ou collective
– récréation, apaisement de tensions internes
– mise en scène de fantasmes
– expérience de libre jeu du désir.
La sexualité étant une zone propice aux débordements, il s’agira de disposer çàet làles protections nécessaires, comme des bottes de paille sur le terrain de karting.
Cette comparaison met en évidence que personne ne s’offusque que, sur un tel terrain, on ne puisse pas conduire àsa guise son bolide làoù bon nous semble !
2_ Ils indiquent un référentiel, un idéal vers lequel tendre ;
Ils ne doivent pas servir àjuger, ni àdévaloriser ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas les appliquer : doit-on dire qu’il est « interdit » de mélanger de la limonade avec du St Emilion ?
On peut dire tout au plus que c’est dommage pour ceux qui le font, et qu’il vaut mieux leur éduquer le goût plutôt que de les laisser se priver d’un vrai bonheur de la vie …
Si vous n’aimez pas le vin, vous pouvez appliquer cette métaphore au breuvage délicat que vous préférez !
Je souscris àla phrase d’Eric Fuchs qui pense que « le christianisme n’est pas coupable d’avoir refusé la sexualité, mais peut-être d’avoir, au contraire, cherché par tous les moyens, y compris répressifs, àen dire le sens éthique » ( Le désir et la tendrese) ;
Il apparaît que la Bible travaille le sens de la sexualité dans trois directions :
– D’abord une désacralisation : la sexualité n’est pas comprise comme une participation àune force divine : la sexualité est bonne ET redoutable . En attestent : violence, viols, incestes, adultères, passions fatales et crimes divers ; C’est donc le réalisme qui doit primer en la matière, et non une troublante idéalisation.
– Ensuite, le texte biblique prend la sexualité très au sérieux, contrairement àcertains peuples environnants, comme les Grecs par exemple, chez qui régnait un relativisme tranquille, mais tranquille pour les plus forts ! La bible a, globalement, horreur des mélanges : elle recommandera donc d’éviter la confusion entre les générations, entre les genres, entre les épouses, entre la vie et la mort ; Denis Vasse ira jusqu’àdire que la perversion ainsi dénoncée, c’est la confusion, littéralement « voie de traverse » principalement entre vérité et mensonge, entre les générations, entre les sexes.
– Enfin, la troisième direction vers laquelle la Bible oriente la sexualité, sera celle de la personnalisation : la personne c’est l’unique, et donc l’unicité de la relation. Le texte plutôt que d’interdire, préfère insister sur l’unité entre la sexualité, l’amour et l’alliance. Soumettre la volupté àla maîtrise de la volonté était une façon le rendre personnelle, voire spirituelle. Nous préférons désormais la subordonner àla relation amoureuse : l’impudique ou le désordonné de la sexualité n’est plus sauvé par la procréation, mais par l’amour. Mais la question que posait Michel Foucault de savoir comment devenir sujet de sa sexualité reste d’actualité. Ni objet, ni jouet, mais sujet, c’est sans doute cela qu’évoquait Freud quand il écrivait : « Où càétait, il faut que le Moi advienne »
En conclusion, les interdits bibliques me semblent en fait servir de panneaux indicateurs vers trois zones d’humanité :
– l’appel àune liberté véritable, au sein de laquelle la personne ne veut se laisser dominer par rien, et notamment pas par son corps ou ses hormones. La liberté c’est bien plus vouloir ce qu’on fait et en être responsable que de « faire ce que l’on veut ».
– la valorisation d’un engagement de la personne dans tous ses gestes corporels, dans le cadre d’une cohérence entre l’échange mimé, mis en scène et l’échange réel, existentiel
– la prise en compte de l’avenir de la sexualité et du nouveau dont elle permet l’émergence. Loin de la compulsion, du déterminisme, et de sa répétition, il sera question de chercher l’alliance d’une part (comme si l’entrée de deux corps l’un dans l’autre correspondait àl’entrée de deux histoires l’une dans l’autre ) et d’autre part la fécondité, qui ne se résume pas bien sûr àun enfant, mais qui représente tout se qui se construit dans la maturité et la stabilité
Loin du permis ou du défendu, nous sommes ici en face d’un regard sur notre humanité, un regard inspiré, qui ne cherche qu’à nous proposer le meilleur en nous évitant ce qui, finalement nous éloigne le plus de Dieu : la médiocrité.
Bibliographie :
Jean Claude Guillebaud : La Tyrannie du plaisir- Seuil Paris 1998
Peter Brown : Le renoncement àla chair – Paris Gallimard 1995
Eric Fuchs, Le Désir et la Tendresse, Labor et Fides Paris 1982
Pascal Ide, Le Corps àCœur, Ed St Paul 1996
Pascal Haegel, Le Corps, quel défi pour la personne, Fayard Paris 1999
Xavier Lacroix, Le corps de chair, Cerf Paris 1992
Xavier Lacroix , L’avenir c’est l’autre, Cerf Paris 2000
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