Article original transmis à Agis en Février 2002
Outre l’incontournable récit que Marie Balmary écrivit sur Freud dans son ouvrage « L’homme aux statues » ( Grasset éd.)– ouvrage condamné ou méprisé par une bonne part de la communauté psychanalytique– on peut jeter désormais un autre regard sur le fondateur de la psychanalyse, depuis l’émergence d’un courant d’historiens critiques prêts à présenter un autre aspect de Freud.
Dès 1974, on pouvait, comme le fit Henri Ellenberger montrer que le concept d’inconscient ou de névrose sexuelle, était loin d’être une découverte spécifiquement freudienne.
Carl Gustav Carus avait déjà évoqué l’importance de l’inconscient, et Eduard Von Hartmann écrivit même en 1868 sa « Philosophie de l’inconscient ».
Le professeur Théodore Lipps de Munich peut même être considéré comme celui qui a véritablement installé l’inconscient dans le champ de la psychologie.
Achille Weinberg, dans le numéro de février 2002 de Sciences Humaines, établit un catalogue plutôt éclairant de ces nouvelles données, quitte à écorner un peu la légende !
Freud autoritaire et dogmatique ? C’est celui dont parle Paul Roasen dans « La saga freudienne » ( PUF 1986).
Freud manipulant outrageusement les cas cliniques qu’il étudie ? C’est ce qu’affirmera Richard Webster, documents à l’appui ! ( « Freud, biologiste de l’esprit » 1979, Trad Fayard 1998). Le personnage sera sans doute approché avec plus de mesure dans « Les Freud » d’Emilio Rodrigué et Louis Breger. Réalisons-nous que les début de la psychanalyse doivent beaucoup à un stage que Freud effectua à la Salpétrière en 1885, pour y recevoir les leçons de Charcot. Tous les mardi, Jean-Martin Charcot présentait ses cas de grande hystérie à un parterre de médecins, et parfois de visiteurs du tout-Paris !
Ces jeunes femmes, roulant des yeux, perdaient connaissance en se dénudant à moitié…ou éclataient en sanglots, en rires bruyants, en toux compulsives.
Le spectacle, car n’en doutons pas désormais, c’en était un, devait être croustillant.
De retour à Vienne, Freud décide de se consacrer à l’étude de
l’hystérie : les viennoises aussi doivent être capables de donner un tel spectacle !
Breuer, un confrère de Freud a une patiente, Anna O.
Cette dernière présente certains symptômes hystériques : paralysies diverses, phobies, toux incoercible…
J. Breuerr observe finement que ces symptômes disparaissent quand la patiente peut, sous hypnose, évoquer des souvenirs de son passé. Freud y voit alors l’intérêt de la cure par la parole, et publie en 1895 avec Breuer « Etudes sur l’hystérie ».
Voilà en tout cas ce qui se disait jusqu’à maintenant.
Or Freud n’a jamais rencontré Anna O.
C’est d’autant plus étonnant que, même d’après Freud, il s’agit du cas fondateur de la psychanalyse. Cette patiente de J. Breuer s’appelait en fait Bertha Pappenheim et vivait recluse au sein d’une rigoureuse famille juive.
Mikkel Borch-Jacobsen ( « Une mystification centenaire » Aubier – 1995) relate que cette jeune femme est tombée malade à la mort de son père vers 1880. Breuer vient la voir tous les soirs, et la jeune femme semble aller mieux, après s’être libérée « par la parole ».
Breuer finira par juger sa patiente guérie, et son ami Freud confirmera cet heureux diagnostic. On sait désormais qu’il n’en fut pas ainsi : le mois suivant, Anna O. pourtant « guérie » fut hospitalisée à la demande de Breuer dans la clinique de Ludwig Binswanger.
La jeune fille connaîtra dans les années suivantes plusieurs rechutes.
On apprit également que, parallèlement à la cure de parole, Breuer eut recours pour la soigner à de la morphine et du chloral. Il fallut bien des années pour que Anna O. réussisse à sortir de sa maladie. Elle se consacra à fonder des associations d’assistance aux mères célibataires et aux orphelins. Certains la considèrent comme la fondatrice du métier d’assistante sociale. Elle dirigea également l’un des premiers mouvements féministes ainsi qu’une organisation de femmes juives : ira-t-on jusqu’à dire que cet engagement militant fut autant sinon plus efficace que le traitement administré par Breuer ?
Il existe dans la genèse de la psychanalyse un fait troublant : Freud se décrit lui-même comme la première source. Il écrit à Fliess en 1897 que son « principal malade, celui qui m’occupe le plus, c’est moi-même »
Comme on le comprend !
Mais de là à fonder une quasi religion….
Freud ira jusqu’à écrire :
« J’ai trouvé en MOI de sentiments d’amour envers MA mère, et la jalousie envers LE père, et je pense maintenant qu’ils sont un fait UNIVERSEL de la petite enfance. Si c’est ainsi, on comprend alors la puissance du roi Oedipe» ( c’est moi qui souligne ).
Abandonnant l’hypothèse de la réalité de la séduction par le père, il préfère penser qu’il s’agit d’un désir enfoui et non d’un fait réel.
Ce désir oedipien, que Freud a lui même ressenti lui donne le sentiment d’accéder aux tréfonds du psychisme humain.
Au tréfonds du sien en tout cas.
L’étude récente des premiers cas cliniques de Freud a révélé trois faits majeurs :
– A des tableaux cliniques très différents, Freud a donné un seul et même diagnostic : l’hystérie, diagnostic certes polymorphe, mais ici plutôt systématique.
– Dans la plupart des cas dont on a par la suite retrouvé la trace, il n’y a pas de succès thérapeutique avéré ( « Le Freud inconnu » de M. Webster )
– Plusieurs des patientes de Freud ont connu des deuils récents, vivent de graves difficultés avec leurs proches, sont au coeur de conflits conjugaux : cela n’empêche pas Freud d’évoquer en premier la cause sexuelle. L. Breger dans « Freud. Darkness in the midst of vision »( John Willey & sons. 2000) prétend que « Freud soutient que la sexualité était significative justement parce que les patients n’en avaient jamais parlé » !
L’apport de Freud reste original et décisif dans l’histoire de la psychologie.
Mais cet homme-là n’était peut-être pas le génie solitaire que certains ont révéré pendant un siècle !
Dr Christophe Marx
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