Au début des années 80, Laura et Harry Boyd publiaient leurs travaux concernant l’approche clinique du couple.
L’évolution sociologique de nos contrées occidentales est telle que nombre de personnes hésitent désormais à vivre ( ou à revivre )en couple, impressionées par la mésentente de leurs parents ou blessés par de désastreuses expériences conjugales.
Ces situations douloureuses ou tout simplement bancales sont légion :
Familles monoparentales ( en fait, à 95% maternelles), situations de concubinage prolongé qui ne gardent souvent du mariage que ses inconvénients en se privant de ses avantages, jeunes adultes qui vivent douillettement chez leurs parents jusqu’à 25 ans, ou plus …
Il semble que désormais, la thérapie conjuguale se doive, en plus d’aider à guérir les maux du couple, d’en réhabiliter le principe même.
Bref, y a -t-il de bonnes raisons pour vivre ensemble ?
Il peut paraitre absurde ou inutile de poser une telle question. On vit ensemble parce qu’on s’aime, c’est l’évidence …
Mais un travail clinique, même superficiel, montre que rien n’est moins sûr ; en effet, on voit nombre de couples qui s’aiment et qui ne vivent pas ensemble, et réciproquement des gens qui vivent ensemble mais sans amour, apparemment du moins.
Alors, il faut bien se rabattre sur des explications moins glorieuses que l’amour mais plus pragmatiques : on vit ensemble et surtout on reste ensemble :
* parceque c’est un usage social, que ” cela se fait comme çà “.Il s’agit ici d’une sorte de loi naturelle qu’ on ne remet pas en question.
* pour éviter la solitude, alors appréhendée comme une catastrophe psychologique et assimilée à un abandon, un rejet et en tout cas sans fin ni merci .
* évidemment dans une dimension pratique et économique, le couple représentant une sorte de PME permettant de faire face à l’adversité grâce au partage des rôles et au soutien mutuel.Et pour élever des enfants, c’est quand même idéal d’être deux, surtout au moment crucial où le bambin devenu adolescent bouscule tout sur son passage dans sa frénétique recherche de limites …
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Mais toutes ces motivations ne permettent pas de préjuger de la “faisabilité” d’une vie de couple prolongée.
Comme pour toutes les constructions, la question de la solidité de l’infrastructure se pose : les fondations, les charpentes, les chevrons vont ils résister au temps ( qui passe ) et au temps ( qu’il fait ) ?
Certes, l’histoire de chacun détermine largement son attitude dans la communauté de vie : dis-moi quelle fut ton enfance, je te dirai quel couple tu formeras …
On peut même avancer l’hypothèse que l’on ne choisit pas au hasard son partenaire, et qu’on le sélectionne inconsciemment pour rejouer avec lui (elle) l’interminable drame d’une séparation inaboutie d’avec sa mère.
Avec le père, l’histoire est un peu différente, car avant de le quitter il faut d’abord le rencontrer, ce qui n’est pas évident non plus.
Tout se passe comme si le choix amoureux était ” gros” des conflits conjugaux.
Ce constat un peu désabusé n’étonnera que ceux qui ne sont guère accoutumés à une écoute attentive des plaintes conjugales.
Certes, le cahier des charges d’un couple est relativement simple à résumer sinon à réaliser :
– minimum de valeurs communes ( on imagine mal un golden boy avec Mère Thérésa)
– capacité de prendre soin l’un de l’autre
– et surtout aptitude à être proche émotionnellement, que ce soit pour rire, faire l’amour ou assumer un conflit .
Mais existe -t-il des raisons positives pour décider de former un couple, de s’engager ensemble dans la vie et comme le dit la sagesse populaire, de “construire quelquechose ensemble” ?
Alors, même si les psychologues ont l’habitude de passer en revue les aspects pathologiques, voire pathogènes du couple, faisons néanmoins un petit tour du côté des aspects positifs, histoire de remonter le moral de ceux qui en viennent à douter de tout …même de l’amour.
Bref, à quoi sert de vivre en couple, dans l’idéal du principe ?
REPARER
Même si le couple peut faire des dégats, il a néanmoins vocation à réparer ceux de la génération précédente : par le brassage social, et grâce au regard de l’autre, les malédictions familiales de type vertical ( c’est à dire venant de la famille d’ origine ) peuvent être mise à jour, et comme “travaillées”.
“Je n’ai pas voulu refaire le type de couple qu’ont fait mes parents “
“Mes parents ne se sont pas du tout occupés de nous, alors moi, je veux vraiment garder du temps pour être avec mes enfants”
Même si l’on constate bien souvent que les mêmes erreurs ou symptômes se reproduisent d’une génération à l’autre, le couple peut aussi être une occasion de s’apaiser, de “détordre” les expériences tordues .
Il semble en effet que les expériences perverses se passent volontiers sans témoin, du moins extérieur à la famille.
La réparation peut aussi concerner des blessures plus récentes, voire actuelles: le couple est aussi le lieu où l’on peut se reposer, s’apaiser, se rasséréner…
EXPERIMENTER
Pour grandir, il faut explorer le monde, et avancer par essai et erreur . La croissance de la personnalité de chacun passe par cette nécessité : il faut expérimenter de nouveaux comportements, de nouvelles réactions, voire exprimer des émotions a priori menaçantes.
Le climat de confiance et de bienveillance qui peut régner dans le couple va alors favoriser cette rencontre avec soi même, et avec l’autre.Cette “émergence du neuf”, seule garantie de la capacité d’évolution, donc de vitalité du couple va lui permettre de développer une capacité à gérer l’imprévu .
En effet, l’éternel retour des toujours prévisibles réactions de chacun ne fera que rejouer, comme sur un sinistre juke-box la triste cacophonie d’une mésentente annoncée.
De plus, un couple assez structuré pourra expérimenter en limitant les risques dans le domaine de la sexualité, des loisirs, de l’éducation des enfants, de l’argent et la façon de le dépenser etc…
La structure du couple dépend de sa capacité à gérer les enjeux autour des limites concernant :
–le passage à l’acte : violence, actes irréversibles, sexualité …
–le temps : respecter les rendez -vous, être conscient du temps nécessaire pour un événement donné, faire les choses ” en temps utile” sans se précipiter ni lambiner, etc.
–la protection de chacun : ne se mettre en danger en aucune manière, ni mettre en danger les autres ; ce qui implique de prévoir et d’ agir de façon préventive.
–le respect de l’espace de chacun : espace vital concret, mais aussi reconnaissance de l’autre comme sujet différent de soi
–l’argent : avec une bonne coopération quant aux décisions de dépenses, évitant les conduites perturbées comme
* amasser
* flamber
* devoir
* voler
* etc.
– Le mensonge et la transparence : la confiance incontournable dans la vie du couple doit en effet être mise en place et entretenue au quotidien. La vérité, le fait de tenir sa parole, la fiabilité et la constance du positionnement de chacun y jouent un grand rôle.
Les modalités permettant à chacun de conserver son jardin secret doivent être négociées avec respect et clarté.
Cette extra-territorialité de la communication ne doit être ni un cheval de Troies, ni une île déserte où chacun se sépare de lui même plus qu’il ne s’y rencontre.
SE RESSOURCER
Les adultes en pleine période d’activité, familiale ou professionnelle se “vident de leur énergie”, selon une expression bien peu scientifique, mais qui exprime bien ce que ressent une personne après une journée bien remplie : il aura fallu se concentrer, donner de l’attention, respecter des horaires, aller et venir, faire parfois des efforts physiques , négocier, gérer l’agressivité ( la sienne et celle des autres ) etc ….
On aura “donné” de soi-même, il faudra bien un jour “recevoir”. Sinon, l’épuisement
( que les anglo-saxons appellent burn-out ) menace.
Il faut se ressourcer, et le couple va permettre ce ressourcement entre autre par :
– le fait d’expliquer ses difficultés à une oreille bienveillante ( attention au dérapage sur le mode de la plainte interminable, de la jérémiade ….) et à condition que ce ne soit pas toujours dans le même sens .
– la sexualité
– le massage
– le partage de loisirs
– l’humour
et plus généralement le soutien mutuel et l’exercice bien compris de le sensualité ;
Notons à ce propos la fréquence de la confusion avec la sexualité, ou même le fait de subordonner la sensualité à la sexualité . L’impression globale semble aller dans le sens que les hommes privilégient la sexualité, alors que les femmes ont du mal à affirmer et satisfaire leur sensualité :la réconciliation du couple avec la sensualité (associée ou pas à la sexualité ) constitue un objectif thérapeutique très pertinent.
Cette attente d’un ressourcement auprès de l’autre est souvent évoqué de façon indirecte et paradoxale par les personnes qui se plaignent de mésentente conjugale, de ne plus communiquer avec leur conjoint et qui hésitent à le quitter ” parceque j’ai peur de me retrouver tout(e) seul(e). Rentrer le soir dans une maison vide, c’est terrible.”
Alors même que la réalité de leur vie conjugale ne permet pas justement ce ressourcement, du fait de la mésentente, ils hésitent à sacrifier la simple possibilité d’advenue du ressourcement et du soutien en anticipant une solitude cauchemardesque.
SOUTENIR
Nous sommes toujours dans l’hypothèse heureuse d’un couple qui va bien : il autogénère ses propres projets, et fonctionne comme une centrale d’ énergie bien réglée .
Il va donc avoir ” de l’énergie à revendre” et la mettre à la disposition d’individus ou de groupe sociaux qui auront besoin d’aide et de soutien.
En premier lieu les enfants : évidemment lorsqu’ils sont petits mais aussi lorsqu’ils grandissent et qu’ils ont besoin de soutien moral et/ou financier pour démarrer la mise en place de leur propre vie.
Cette aptitude à soutenir peut parfois même s’adresser à certains membres de la famille d’origine ( surtout les parents, mais aussi les frères et soeurs, cousins etc.)
Les voisins, voire le comité de quartier peuvent même bénéficier des retombées positives d’un couple ou d’une famille en bon état …
Il pourra s’agir d’une capacité à l’accueil ( concret ou moral ) , au conseil, ou de façon indirecte par réprobation des conduites manipulatrices ou violentes .
Tout se passe comme si la famille, de par sa simple existence, en témoignant de sa cohésion participait au maintien de valeurs morales.
Cela dit, elle prête ainsi le flanc à la rébellion, à la contestation, à des tentatives de déstabilisation,voire à des attaques directes qui seront pour elle une occasion de se tester et de “grandir” en tant que famille.
CONCLUSION
Le fait de garder en tête ces quatre ressources d’un couple en croissance permet de dresser dans le travail clinique un sorte de check-list : schématique, certes, mais qui indique néanmoins dans quelle direction encourager ces “aventuriers de la solitude perdue” qui ont décidé de gagner du terrain vers eux-mêmes en partageant leur lit, leur vie, et leur avenir.
Grille diagnostique donc, mais aussi ébauche de plan de traitement pour des couples qui dysfonctionnent et qui ont besoin de se rassembler sur un objectif commun : parmi les quatre recencés ici, il nous semble qu’il faudra choisir en priorité celui qui semble le plus facile à atteindre.
Car s’il est vrai que , lorsque ” çà va mal, çà va souvent de pire en pire…”, il n’est pas interdit d’observer que parfois, quand “çà va bien, alors çà va souvent de mieux en mieux…”
C’est parfois uniquement de cette vision optimiste dont ont besoin les couples qui viennent nous consulter.
Un regard trop technique sur la pathologie ne nous empêche-t-il pas souvent de le leur donner ?
Dr Christophe Marx
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