Le nouveau né est prématuré et ne pèse que 850 g.
Il est dans une couveuse, entouré de dizaines d’appareils de surveillance, dotées d’alarmes visuelles et sonores, de dispositifs sophistiqués de perfusion, de repérage à distance des dysfonctionnements…
Comptez au moins cent mille euros de matériel autour de lui. Et une équipe spécialisée qui se relaye jour et nuit, sans relâche.
Et voilà qu’une alarme retentit, tellement stridente qu’elle doit sans doute déranger le tout petit d’homme qui lutte pour survivre.
L’infirmière se précipite, car elle sait ce qui se passe : le bébé s’est arrêté de respirer ! Il faut d’urgence le stimuler, ou simplement le réveiller, pour que son souffle régulier l’empêche de basculer vers la mort.
Va-t-elle appuyer sur un bouton ? Manipuler une manette ? Toucher un écran ? Guider à la voix un robot ?
Il faut intervenir vite, et il n’est pas question d’ouvrir la couveuse, de débrancher fils et tuyaux, ni risquer de faire entrer des microbes.
Il faut le secouer délicatement, certes, mais à distance.
Le stratagème installé est judicieux : une longue compresse est roulée en cordelette.
Elle passe sous les reins du nouveau-né, et ses deux extrémités se rejoignent au dessus de la couveuse, en passant par un petit trou qui perce le plastique.
L’infirmière attrape à deux doigts la compresse roulée, la soulève à trois reprises, le mouvement est évidemment transmis à l’enfant, qui tout naturellement réagit en reprenant sa respiration.
L’alarme se tait.
Le danger est passé.
La solution technique n’a coûté que quelques centimes, et contraste avec les millions de technologie avancée entourant le petit être immature et fragile.
Et une main humaine a sauvé la situation.
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L’autobus s’approche de l’arrêt. Certains voyageurs ont annoncé leur intention d’y descendre et appuyé sur le bouton qui allume le voyant « arrêt demandé ». Mais comment vont faire les voyageurs qui attendent sur le trottoir, pour indiquer leur désir de monter dans ce bus précisément, et pas celui d’une autre ligne passant par le même arrêt ? Ils vont « faire signe au conducteur », et lever la main, en l’agitant légèrement. Pas besoin d’électronique, juste un code établi d’avance. L’autobus va s’arrêter, stoppé par une main humaine.
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Merci aux robots, à l’électronique, à l’informatique, à l’intelligence artificielle… qui nous permettent d’économiser nos gestes, de réduire la fréquence de nos erreurs, qui introduisent dans notre univers une dimension de perfection technique.
Mais merci aussi à notre main, fondamentale pour des actions aussi essentielles que de cacher le gosier écartelé du bailleur, caresser la peau de la personne aimée, ou de l’enfant apeuré, effleurer le velours…
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Chacun sait désormais que plusieurs continents de plastique se sont constitués au cœur des océans, et qu’ils grandissent chaque jour.
Il n’existe plus de terre émergée inexplorée, et la plupart sont abondamment polluées.
Depuis 1969, on a laissé sur la lune plus de 180 tonnes de déchets.
On peut notamment y trouver :
Des engins spatiaux, 5 drapeaux américains, 2 balles de golf, 12 paires de bottes, des caméras, des magazines, des sacs à dos, 96 sacs d’urine, d’excréments et de vomi…
Sur la lune.
Joignons nos mains, et demandons pardon à nos enfants.
Christophe Marx
Juin 2018
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