– En voiture Simone ! Qui sont ces « Simone » dont la mémoire t’émeut ? Elles sont mortes, place aux vivants !
Mon ami secoue la main, avec un geste de balayage. Nous sommes à la fin du repas, et il n’a pas fini son verre de rosé.
–D’accord, je vais t’en dire plus : La première de ces Simone, c’est Simone Weil. Une parisienne, juive née en 1909. A cinq ans, apprenant la misère des soldats de la guerre de 14, elle refuse de prendre un seul morceau de sucre, et veut les envoyer à ceux qui souffrent au front.
– C’est-y pas mignon, ça ! Un peu enfantin quand même, tu ne crois pas ?
-Attends la suite : bac à 16 ans, d’accord on en connaît d’autres… Normalienne et agrégée de philo à 22 ans.
-Ah bon, les grosses tronches, ça t’impressionne, toi !
– Ce n’est pas seulement une intellectuelle ! En 1933, elle se joint au mouvement de grève des syndicats ouvriers, décide de vivre avec cinq francs par jour, et donne le reste à la Caisse de Solidarité des mineurs.
-Je vois le genre ! Comme ça elle se donne bonne conscience.
Je découvre qu’il a décidé de ne pas se laisser aller à la complaisance.
–Si tu veux, mais ça ne l’empêche pas dès 1932 d’aller passer un séjour en Allemagne pour comprendre les raisons de la montée en puissance du nazisme.
-Ah, oui, belle anticipation ta Simone.
-En 1934, elle quitte l’enseignement pour s’engager comme ouvrière à la chaîne chez Alstom, puis comme fraiseur chez Renault. Finalement, épuisée et malade, elle reprendra son travail de professeur 2 ans après. Non sans avoir rédigé son « Journal d’Usine ». Elle prend part aux grèves de 36, puis prend le train pour l’Espagne et s’engage dans la colonne Durruti, pour combattre Franco.
-Elle ne se paye pas de mots, dis donc… Elle y va à fond !
-Oui, et revenue en France, elle prône bien avant la guerre, dès 1937, une collaboration économique franco-allemande. Pas franchement dans l’air du temps à cette époque. Elle est bien sûr active dans la résistance ! Elle s’intéresse aux religions d’ancienne Egypte, de la Grèce Antique, à l’hindouisme, ou bouddhisme et approfondit la mystique chrétienne.
-Elle a vécu jusqu’à quel âge ?
-34 ans. Elle a trouvé le temps d’écrire des tas de livres, sur l’engagement, la beauté, la Grâce…
-Pas mal, je reconnais. Et ton autre Simone ? Simone Veil, avec un V, c’est bien ça ?
Finalement, je vois qu’il est attentif. Et curieux !
-Oui, elle était juive, aussi. Elle est morte en juin 2017. Elle a été déportée à Auschwitz, où elle a vu mourir ses parents et son frère. Devenue magistrate et haut fonctionnaire, elle devient ministre et fait adopter en 1974 une loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse.
-Oui, on peut voir ça comme un progrès, mais où est l’exploit ?
-Tu n’imagines pas l’ambiance à l’époque. Elle est juive, jeune, elle est femme, elle lutte contre la discrimination contre les femmes : En face d’elle au parlement, un aréopage d’hommes, goguenards, réactionnaires, antisémites, injurieux. Elle tient bon. Elle n’a pas peur : elle a survécu à la Shoah, que peut-il lui arriver de pire ?
-Vu comme ça, c’est courageux, oui.
-Elle a œuvré pour la réconciliation avec les allemands, et la construction européenne. Elle a été nommée à l’Académie Française. Elle a fait graver sur son épée d’académicienne son numéro de prisonnière dans les camps nazis. Elle repose avec son mari au Panthéon. « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante… »
-Je connais ! « Entre ici, Simone Veil… » comme disait Malraux pour Jean Moulin.
-Tu peux te moquer, mais je sais qu’on a besoin de belles figures à admirer. Ce n’est pas si souvent.
Il a les yeux dans le vague, et il a cessé de s’agiter.
Il finit son verre d’une gorgée, et lâche :
– Bon sang, je vais raconter ça à mes gosses !
Christophe Marx
Juillet 2017
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